[FB 2012] Le Roi de la palette à la diable • Warren & Célestin

Oh.
Un seul bruit qui sort de tes lèvres, Célestin aurait dû - il aurait vraiment dû - capter le malaise ambiant qui se dégage brusquement de la conversation. Mais il n’en est pas capable, pas maintenant, dans cet état. Alors il continue, tout aussi bêtement qu’il l’est.

“Pourquoi t’es aussi stressé ? ‘Fin, pour que ça soit au point d’en prendre une potion c’est que ça doit pas être rien…”
“Eh bien parce que toi, m’enfin c’est…” Évident ? Ou pas tant ?
“J’espère au moins qu’elle était pas altérée. On sait jamais.”

Il secoue alors la tête, Célestin, comme trop confiant qu’il est - et c’est vrai après tout, il est plutôt à l’aise sur la recette de cette potion simple, bien qu’il préfère se contenter habituellement d’engrai et autres potions de pousse de végétaux. Il n’officie que peu vers l’humain, à dire vrai.

Quelques exceptions que cette potion, et sa potion contre les extinctions de voix - de son entière conception, recette brevetée en son nom. Mais il ne la fait plus : elle contient de l’alcool.

“Vaut mieux être prudent·e.”
“Oh.”

Célestin est bien au courant des quelques mécréant·es nécro qui refourguent leur médiocres potions aux premiers et premières venues. Il n’en a jamais rencontré*, par chance. Et il ne fait pas partie de celleux-là.

“Oh non, pas d’inquiétude à avoir : je l’ai faite moi-même. Enfin, pas créer la recette, qui appartient à un·e autre, évidemment. Mais c’est une potion assez basique somme-toute, pas de difficultés ou de craintes à avoir.”
Vraiment, sans être un as en potion, il est possible de la réussir.

Quant à savoir si Célestin est un nécromancien, il songeait alors que tu étais au courant. Comment autrement, pourrait-il avoir une telle amplitude de voix ?

Parce que toi. Cette réponse, elle te fout dans un loop de pensées. Extérieurement, t'es juste là à soulever un sourcil alors qu'il semble chercher ses mots et toi, de ton côté, tu cherches à comprendre ce qui se cache derrière. Ça te gratte dans la tête et t'es presque sûr que s'il venait coller son oreille sur ta boîte crânienne il entendrait un bruit de rouages. Qu'est-ce que t'as bien pu faire pour le pousser à consommer une potion contre le stress ? Est-ce que c'est à cause de cette image un peu nonchalante d'artiste légèrement paumé qui le met mal à l'aise ? Est-ce que t'as dit ou fait un truc et t'as pas tilté que c'était le mot de trop ? T'es pas du genre à facilement te prendre la tête mais quand ça arrive tu plonges dedans à pieds joints. Les doigts sur tes lèvres, tu joues avec ta barbe alors que t'as l'air loin dans ta réflexion. Tu le regardes mais tes yeux le traverse comme s'il était fait de plexiglas

Parce que tu commences à te demander si c'est pas ce que tu crois, ce que t'espères un peu au fond de toi, sans oser vraiment te l'avouer et encore moins l'avouer à voix haute. T'es peut-être assez chill pour parler d'un tas de trucs le sourire jusqu'au yeux et la clope aux lèvres mais là c'est trop ; ça dépasse la limite. Ta limite. Il secoue la tête et tu pousses un soupir de soulagement, manquerait plus que ça tiens. T'essayes de détendre l'atmosphère, tu lâches un petit rire en secouant la tête à ton tour. Les nécromancien.ne.s ça a jamais été ta tasse de thé mais quand tu vois les galères des zombies depuis des années maintenant tu les aimes un peu moins chaque jour. Et pour toi, bah Célestin est important. Et si t'es capable de t'inquiéter de parfait.e inconnu.e qu'est-ce que ça donne quand ça peut toucher quelqu'un auquel tu tiens ? Rien que l'idée te fait resserrer les doigts autour des poils de ta barbe.

« Oh.

Ouai. J'leur fait pas trop confiance. »

Sourire, alors que tu relâches un peu tes doigts et t'espères que le sujet change.

« Oh non, pas d’inquiétude à avoir : je l’ai faite moi-même. Enfin, pas créer la recette, qui appartient à un·e autre, évidemment. Mais c’est une potion assez basique somme-toute, pas de difficultés ou de craintes à avoir.

Attends attends, qu'est-c'que tu dis là ? »

Tu reviens sur ces mots, mimant un geste de pause avec la paume de ta main tendue, l’autre occupée à te passer sur le visage lentement. T'inspire, tu recomposes. Comment ça il l’a fait lui-même ? T’as aucun doute sur le fait qu’il parle de la potion et t’as beau être pris au dépourvu t’es pas désespéré au point de jouer l’idiot. Ou jouer sur les mots. T’as compris même si c’est pas comme si t’en avais envie. Tes yeux se posent sur lui, fixement, et le sourire a disparu. T’as pas le regard dur, loin de là. Mais une certaine déception se mélange à la surprise et bordel, comment ça se fait que t’as pas capté plus tôt ? Tu te sens un peu con par-dessus le marché

« Je … j’pensais vraiment pas que t’étais un nécro. »

Les mots se perdent dans ta barbe alors que tes yeux quittent les siens pour regarder la table un instant. Ça reste Célestin. Tu le connais que depuis quoi, moins d’un an ? Mais tu sais qu’il est pas comme ça. Tu le sens, c’est pas sa vibe, c’est pas son style. Mais l’apprendre de cette façon, ça te met mal à l’aise -presque plus que son comportement un peu off depuis le début de la soirée. Tu sais pas quoi rajouter, quoi dire alors qu’on finit par vous apporter les entrées dans une ambiance que tu définirais de sacrément morbide si vous étiez pas des fantômes de base. Tes doigts passent sur le tour de l’assiette, toujours dans ce silence lourd, une ambiance que tu détestes et franchement ça te correspond pas non plus. Alors tu soupires un peu, t’esquisses un sourire fade en coin comme pour cacher la déception qui se lit toujours au fond de ton regard

« Désolé ça m’a pris un peu de court. J’uis pas très fan des nécromancien·ne·s, y’en a trop qui ont foutu le chaos et … Ouai, ‘fin tu vois le genre. Et je dis pas que t’es comme ça hein, mais ça fait un gros truc à digérer d’un coup surtout sans prévenir »

“Attends attends, qu'est-c'que tu dis là ?”
“Que c’est vraiment pas compliqué parce que-”
Ton geste de la main le stoppe net, enfin il comprend que quelque chose ne va pas. Quoi donc alors, il ne pourrait pas le deviner. Un air déçu, et les rouages qui cliquettent derrière ton crâne. Non, vraiment - il ne voit pas autre chose que -quelque chose ne va pas.

“Je … j’pensais vraiment pas que t’étais un nécro.”
Les yeux qui s’écarquillent très légèrement, et le voilà qui se ferme à son tour.
C’est donc ça que tu lui reproches.

Brusquement, et de manière vicieuse, il se revoit un temps. Lui, à se regarder devant son miroir, avec ce même air de déception. Non, tu n’es pas si parfait que ce que tu aurais dû être, pas comme on te l’a enseigné tout ce temps-là - de ton vivant, il y a 300 ans. Tu as des restes encore, de ce que tu as intériorisé, à te sentir simplement coupable dans le fond de ton ventre de cette simple sortie.
Deux hommes ensemble. Non, ce n’est pas grave.
Oui, il a mis du temps. A le comprendre, l’accepter, le voir, l’intégrer.

Et maintenant, pareillement.
On lui reproche ce qu’il est.
Comme il se reprochait lui-même ce qu’il était.

“Désolé ça m’a pris un peu de court. J’suis pas très fan des nécromancien·ne·s, y’en a trop qui ont foutu le chaos et … Ouai, ‘fin tu vois le genre. Et je dis pas que t’es comme ça hein, mais ça fait un gros truc à digérer d’un coup surtout sans prévenir.”
“Je n’ai pas choisi de l’être.”

Ce sera tout ce qu’il dira à ce sujet.
Parce qu’il n’a pas besoin de se justifier de ce qu’il est - voilà tout.

“Si tu n’es pas capable de l’accepter, mieux vaut arrêter là. De toute façon, même si je le voulais, je ne pourrais pas en changer.”

Tu t'en veux un peu de l'avoir interrompu comme ça. Sèchement. À lever ta main comme si t'avais besoin de dresser une barrière le temps de digérer l'information. Est-ce que tu l'aurais mieux vécu si ça n'avait pas concerné Célestin ? Ou alors est-ce que t'es capable de te rendre compte que t'as peut-être grave merdé justement parce que c'est lui ? C'est pas la première fois que tu te confrontes à un nécro'. Loin de là. Et pour ton plus grand malheur parce que certain·e·s font preuve d'un ego à toute épreuve et porte des œillères en titane. Mais là, c'est pas pareil. C'est désagréable, c'est douloureux de le regarder se fermer sous tes yeux parce que t'as dit le mot de trop. Que t'as fait le geste qu'il faut pas. Parce que t'as réagis à l'instinct et que ouai, tu les aimes pas beaucoup. Tu les aimes pas tout court mais rajouter le "pas beaucoup" te donne une meilleure conscience dans ce cas précis

Et parce que tu détestes voir que toi aussi, tu peux être pétri de préjugés. Ça pique d'en prendre conscience, surtout devant lui

« Je n’ai pas choisi de l’être.

... Ouai, je sais un peu comment ça marche »

Le silence est tellement lourd et pesant, t'as plus l'habitude. Ça te rappelle l'ambiance de ton vivant et ça te laisse un goût si profondément amer sur ta langue que tu la frottes sur ton palais, comme si t'essayais d’enlever cette amertume. Geste nerveux. T'as fait le con mais tu sais pas à quel point et c'est peut-être ça qui t'agite autant. Ça et ce que tu vois dans ses yeux ; et tu peux pas détourner le regard. Parce qu’au fond t'as l'impression d'avoir le droit d'être surpris·e et en colère qu'il te l'ait pas dit plus tôt et surtout que tu l’apprennes comme ça.
Et cette pensée est absolument insupportable et te dégoute de toi-même, et pas qu'un peu. T'en as du chemin à faire, encore

« J'ai euh, p'tete laisser la surprise prendre le dessus. Je- 'fin je sais qu'on choisit pas »

Tes doigts pianotent sur l'assiette qui refroidie aussi vite que l'ambiance entre vous. Tu parles d'un naufrage

« Si tu n’es pas capable de l’accepter, mieux vaut arrêter là. De toute façon, même si je le voulais, je ne pourrais pas en changer.

Non non ! »

La réponse fuse un peu trop vite, au risque de trahir ce que tu penses ou ressens mais c'est pas comme si t'en étais encore là de toute façon

« 'Fin je veux dire... Je peux pas comprendre ce que c'est, et j'laisse sûrement des mauvaises expériences prendre le pas sur le fait que bah... Ça change rien, au fond. Je sais juste pas pourquoi j'me sens comme ça et ouai j'aime moyen juger les gens c'est pas trop mon délire à la base »

Haussement d'épaules

« Mais ouai, c'est comme ça. Et ouai, tu peux rien y faire c'est... 'Fin j'peux comprendre c'est pas comme si je pouvais arrêter d’être polter' et de voir des périsprit quoi »

Rire nerveux ; c'est sûrement pas le moment de faire des blagues. Mais t'as vraiment l'impression d'échouer en permanence tes tentatives pour ressusciter l'ambiance entre vous et ça te donne un peu envie de te coller des baffes

“Non non !”
Ah oui, ça le surprend légèrement, ce retournement, cet empressement. Pourtant, Célestin aurait pu - s’en réjouir - mais il n’y parvient pas à cet instant. Pas avec cette ambiance pesante de sens, ce silence qui s’étale entre vous-deux, cette lourdeur dans l’air. Célestin a la désagréable impression que vous êtes regardés, observés dans ce fiasco qui est le vôtre.

Il se râcle la gorge - la potion ne fait plus effet.
Comme une mauvaise redescente.
Comme il en a beaucoup connues.

“Mais ouais, c'est comme ça.”
“Comme tu dis.” Il est encore sec, meurtri.
“Et ouai, tu peux rien y faire c'est... 'Fin j'peux comprendre c'est pas comme si je pouvais arrêter d’être polter' et de voir des périsprit quoi”
De réflexe, il claque la paume de sa main sur la table.
“Super…”

De la même manière que tu n’apprécies pas beaucoup - pour te donner bonne conscience - les nécromancien.nes, Célestin n’apprécie pas beaucoup les poltergeists. Car il y a déjà eu à faire dans le passé, ça le renvoie à une époque où la légitimité de sa carrière était sans cesse remise en cause par ces derniers en raison de ses capacités, à la pression que quelques un.es lui mettaient sur les épaules ou à la pression qu’il se mettait lui-même pour plaire au plus grand nombre. A lisser son image, craindre le moindre faux-pas.

Célestin en a vécu, des dramas dignes des tabloïds.
Sans intérêt, ni légitimité.
Son alcoolisme et sa retraite forcée en sont les résultats les plus marquants et immédiats. Maintenant ne reste qu’une rancœur sourde envers celles et ceux qu’il considère comme partiellement responsables. Envers toi - et pourtant, tu n’y es pour rien, jamais il ne t’avait rencontré auparavant. Voilà la dissonance.

Il secoue la tête, comme pour remettre son esprit en place.
Ses idées, et le reste.

“Écoute… C’est pas. Aaah simple. Parce que je- j’ai eu quelques griefs avec.” Il secoue la main, comme pour se faire comprendre. “Mais aussi, je. Je t’apprécie. Bien. Plutôt. Urm…” Il inspire - décidément, la potion ne fait plus effet du tout. “Je crois.”

Il croit, qu’il dit.
C’est plus que simplement il croit.
Plus compliqué.

“Et je sais pas quoi… en penser.”
“C’est flou, encore. Dans ma tête.”

Les mots fusent et c’est sec. Désertique même à ce niveau. Tu te racles encore la gorge ; c’est tellement brûlant que t’as l’impression de te déshydrater à vue d’œil. Pour t’occuper les mains autrement qu’en triturant le bord de la vaisselle décidément très classe du restaurant, tu prends ton verre entre tes doigts et tu bois une gorgée. Rapidement, parce que tu sais que vous en avez pas fini. Malheureusement. Le rire nerveux, les haussements d’épaules, prendre un air détaché : rien ne marche. Et tu le vois vite car à peine ton verre reposé que Célestin tape de la main sur la table et ça, ça te fait tiquer. T’en lèves un sourcil, plissant légèrement les yeux ce qui créé de jolies rides sur ton front. Normal c’est pas comme si t’étais encore dans ta vingtaine ou même ta trentaine et puis tu les vois pas toi ces rides. Tu le fixes, entre surpris, très légèrement agacé par le geste et confus. Qu’est-ce qui te vaut une telle réaction à ta tentative d’alléger l’ambiance ? T’es pas le plus adroit mais quand même ça te semble un peu disproportionné. Un peu beaucoup et ça t’interroges

Y’a quelque chose
Mais quoi ?

« Super…

… J’peux savoir ce qui me vaut cette réaction ? »

Légèrement plus tendu sur ta chaise, tu t’es redressé·e sans même t’en rendre compte. T’essayes pas de presser ta question plus que tu l’as déjà fait ; peut-être parce que tu te sens toujours un peu mal à l’aise. Un peu stressé·e, aussi, de savoir ce qu’il va te répondre. Et parce que même si tu as encore du mal à digérer la nouvelle … Ça reste Célestin. Et t’arrives sans aucun mal à faire preuve de patience pour lui. Et de base t’es pas du genre pressant·e bien au contraire. Mais là ça te concerne. Ça le concerne. Il secoue la tête et ton sourcil se lève de nouveau

« Écoute… C’est pas. Aaah simple. Parce que je- j’ai eu quelques griefs avec. »

Oh.
Ooh.
Tu retiens un rire. C’est dur. C’est pas un rire de joie, loin de là. Mais tu veux pas le couper alors tu fermes ta bouche et t’inspires profondément. L’ironie de la situation commence à avoir raison de ton chill habituel

« Mais aussi, je. Je t’apprécie. Bien. Plutôt. Urm… Je crois.

… Mmh. Je vois »

T'oses pas répondre que toi aussi alors ça tombe un peu à plat. Comme votre rendez-vous finalement. T’inspires aussi comme pour l’imiter et tu cherches comment formuler ce que tu veux lui dire. Au moins il t’apprécie encore un peu malgré ta réaction clairement discutable ; enfin il croit et ça, ça te fait un truc dans l’estomac. Ça tire un peu, ça brûle presque. Tu sais pas si c’est de la déception, de l’agacement ou autre chose mais c’est pas agréable et franchement tu t’en passerais bien mais t’es là. T’en es là. La suite te plaît pas plus et ça rend encore plus difficile d’ouvrir la bouche et de dire … Quelque chose. N’importe quoi. Tu finis par soupirer, te passant la main dans les cheveux avant de te frotter les tempes, puis les joues. C’est définitivement pas de l’agacement que tu ressens parce que même si tu voulais très, très fort tu peux pas lui en vouloir. C’est au-dessus de tes forces

Et parce que ça ressemble beaucoup à un »you problem » que tu vas devoir régler toi-même

« J’aurais pas cru qu’on était dans le même bateau. Enfin, dans le même bateau mais pas du même côté quoi »

Tu tentes un sourire et t’es sûr d’échouer

« Je … Je sais pas ce que t’as vécu. Donc j’peux pas t’en vouloir de pas faire confiance aux polter’ mais je vais pas mentir que ça fait pas plaisir. J’ai pas envie d’arrêter là, vraiment, mais si c’est aussi flou je comprendrais que toi tu préfères qu’on rentre »

Chacun de votre côté.
Nouvelle douleur dans ton estomac

« Et puis c’est pas comme si on allait pas se revoir hein ? Alors, qu’est-ce que tu préfères ? »