On en a gros ! [Ft la coloc Bozo]

Pour une fois, Astard était occupé à quelque chose de constructif. Légèrement émeché, juste de quoi être de bonne humeur, il travaillait sur le projet secret "Tryclope". Avachi dans le canapé du salon, des feuilles de papier déchirées ou non partout autour de lui, il dessinait fièvreusement des modèles et schémas de sa dernière invention, dimensions en mètres et calculs ballistiques compris.

Sa dernière idée révolutionnaire était simplement une pièce d'artillerie semi-automatique, à trois canon montés en triangle rotatif, capable de cracher des boulets à partir de cartouches de poudre noire compressée. En parallèle, il regardait distraitement sur la télé ce qui devait être une sorte de feuilleton romantique. Le jeu d'acteur était franchement terrible, et tous les dialogues en espagnol, alors il s'agissait peut-être d'un drame mais c'était difficile à discerner.

Puis l'aggression. Croyez bien que le pirate ne bougea pas d'un poil, ni ne sursauta d'une quelconque manière. Lentement, il tournait son visage consterné et dépité vers Liam.

"Dis, je m'fait attaquer par un haricot beurre ou une asperge? J'peux aller chercher la poêle, hein..."

Clairement pas impressionné, il reprenait son activité comme si rien ne s'était passé. Par cruauté, il lançait quand même une dernière pique en fixant l'écran.

"Pis avec l'âge, j'entend plus dans les aigus, faudra m'parler quand t'auras mué, le mioche."

La guerre était déclarée. Où peut-être déjà gagnée, le priate n'en savait trop rien. À son époque, les gamins savaient se tenir tranquilles quand les adultes parlaient. De toute manière, Liam étant mort très récemment, il lui restait plus d'un tour dans sa botte pour le chasser.

En seule réponse première aux protestations du minot, Astard se mettait à rire grassement. Le menacer physiquement, et puis quoi encore? Bien qu'il n'en soit pas tant fier, le pirate se rappelait avoir tué quelques hommes de son vivant, et rossé des quantités absurdes de malfrats de son mourant. Un petiot fin comme une barre de pole dance voulait sa peau, et puis quoi encore? Il ne parvenait même pas à répondre, les larmes lui venaient aux yeux tant la menace était ridicule. Son hilarité était vite dissipée cependant, quand il posait la main sur Betty.

Un pirate n'a peut-être pas tant de respect pour le concept de propriété quand il s'agit des affaires des autres, et Astard en particulier ignorait le concept, mais qu'on touche aux siennes le mettait en alerte. Le ton moqueur disparu, il laissait tomber avec gravité:

"Touche pas trop à ma chérie, petit, la poudre noire ça vieillit et ça devient très sensible avec le temps."

Mentait-il? Peut-être, mais l'important c'était qu'il arrête de salir le métal chromé. Remarquez, la poussière le faisait sans aucune protestation du marin, l'hypocrisie était complète. Il ne croyait pas une seconde que quiconque accepterait des ossements pour déplacer le légendaire canon sans roues du Cap'n Wealdborn, mais jouait quand même un petit tour au nouveau. C'est comme ça, il est un peu taquin.

Il sortit avec une vélocité terrifiante son pistolet à silex de sa poche, et le braquait droit entre les yeux de Liam, sans déplacer sa masse d'un pouce.

"À ta place, le révolté, j'me ferais vraiment discret, en compagnie d'un capitaine légendaire mondialement connu. Nous autres pirates, on est pas connus pour l'amabilité, tu vois?"

Sa tentative de paraître menaçant était peut-être inutile si Liam avait entendu ou vu assez de ses stupidités, mais il espérait que la menace du tir fasse effet. Après tout, certains nouveaux-morts craignaient instinctivement les armes, alors que le danger demeurait très relatif dans l'au delà.

Ce n’était un secret pour personne, Barthélémy travaillait beaucoup. Trop, même. Toute sa vie avait été dédiée à travailler. Militaire, puis mangemort et enfin prothésiste ongulaire. Il n’était que ça : du travail. Heureusement que sa fille était là pour lui rappeler de se reposer, même si depuis quelques temps, elle vivait sa propre vie, enfin, mort. Mais il ferait tout pour elle, ça, il n’y avait pas à en douter.
Mais malgré tout, il désirait pouvoir s’asseoir dans son salon, et se reposer tranquillement, en toute quiétude.

Aujourd’hui, c’était peut-être le jour de trop. La fatigue l’avait emporté. Il avait fait l’effort incommensurable : il était parti une demie-heure plus tôt. Inimaginable, choquant et honteux, je sais. Pourtant, le colosse l’avait fait.
Sa moustache dansait doucement avec le vent froid de février. Il se dirigeait vers l’appartement qu’il occupait avec d’autres personnes qui étaient, elles aussi, mortes. Lémures, vampires, nécromanciens, chimères et zombies se mélangeaient et tentaient de vivre ensemble du mieux qu’ils pouvaient, ce qui n’était pas toujours gagné. Mais Barthélémy, il avait confiance. Il savait que les habitants de Bozo pouvaient surmonter tous ces obstacles, qu’ils le feraient ensemble ! Car après tout, ne formaient-ils pas une sorte de famille ? Oui, il n’y avait pas de doute possible, ce sentiment était clair. Les clowns de Bozo, Barthélémy les aimait d’amour.

À cette pensée, il se sentit d’humeur joyeuse et se dit qu’une visite impromptue chez le pâtissier ne ferait pas de mal. Un ou deux gâteaux à se partager ensemble. Bien évidemment, il prendrait en compte les allergies ! Du mieux qu’il pourrait avec ce qu’il y avait bien sûr. Le mangemort se rendait bien compte qu’à cette heure-ci, le choix n’était pas le plus grand. Mais il était sûr que ça ferait plaisir à ses colocataires. Et, sans vouloir l’admettre, à lui-même. Même s’il ne trompait personne.

Au bout d’un moment, Barthélémy finit par arriver chez lui (il avait pris les escaliers, cette fois-ci). Bien qu’il fut parfaitement en forme, ces escaliers pouvaient être épuisants. Certains jours, il avait l’impression qu’ils se rallongeaient¹, juste pour embêter le chauve blond.
La porte de l’appartement n’était pas bien grande – ou plutôt, M. Croûton était bien trop grand pour beaucoup de choses. Avec ses clefs, il ouvrit la porte, un sac plein de pâtisseries, s’abaissa pour passer l’encadré et… vit le Capitaine qui pointait son révolver vers le petit nouveau, qui n’avait été rien d’autre qu’A-DO-RA-BLE.

Non, franchement, Wealdborn exagérait.

— “M. Wealdborn,” gronda le plus grand d’entre eux, “voulez-vous bien ranger votre arme ? Il me semble que nous avions déjà eu une conversation à ce sujet.”

Le colosse n’était pas content, mais pas content du tout. D’autant qu’il gardait toujours un petit chagrin envers les événements de la semaine dernière, avec Astard.

Comme d'habitude, il fallait que les autorités s'en mêlent. Si le gamin représentait un danger sensiblement égal à celui d'un chaton enervé qu'on lui gratouille le ventre, le colosse demeurait certes moins affrontable. Déjà parce qu'il pouvait sûrement envoyer n'importe quel humain normalement consitué dormir en une seule gifle, mais aussi parce qu'il avait les clés de la cellule de garde à vue. Et comme pour l'hôpital, Astard en avait perdu la carte de fidélité. Qui plus est, ce serait faire trop de plaisir au minot que de se faire coffrer. Il fallait la jouer fine, penser serpent de devenir caméléon.

Et le pirate avait un plan, oh qu'il était malin. Enfin, dans son esprit un peu farceur, ça avait l'allure d'un plan. Gentiment, le pistolet revenait à sa place originale, et le fou se faisait passer pour raisonnable. La clé était de gagner la confiance de Croûton, quoi qu'il en coûte. Après tout, les deux se connaissaient depuis si longtemps.

"Justement! Nous avons déjà eu cette discussion, passons à la suivante. Si je comprend bien, le problème c'est que le canon soit chargé? Le déplacer est impensable, mais je peux le décharger en toute sécurité."

Avec une certaine subtilité, il jetait des faux regards fièvreux vers le mangemort. Après tout, il avait déjà prouvé être capable de retirer le boulet du la gueule du canon sans causer un cafouillage gravissime. Pour prouver sa bonne foi, il se levait en râlant et laissait ses dessins sur la table, se dirigeant lentement vers la pièce d'artillerie. Sur le chemin cependant, faisant dos à l'ancien, il grimaçait avec une malice terrifiante en fixant le jeune dans les yeux.

On ne toucherait pas à son canon, c'était clair, évident et indiscutable.

— “Ce canon ne devait-il déjà être désarmé, Monsieur Wealdborn ?” La colère du mangemort commençait à gronder. “Notre jeune ami n’a été rien d’autre que gentillesse avec nous depuis son arrivée et vous le menacer pour un canon qui pourrait abîmer nos corps et notre propriété commune !”

Non, franchement, le Capitaine dépassait les bornes. Trop, c’était trop. Une punition s’imposait, de toute évidence.¹
Le colosse profita de son discours pour placer ses sacs sur la table la plus proche². Après, tout, il n’allait pas rester les bras ballants, à ne rien faire. Déjà, ç’aurait l’air absolument ridicule. Ensuite, ce n’était pas du tout efficace. Oui, Monsieur Antigone Barthélémy Croûton était multitâche ! Ce qui le rendait terriblement efficace³ !

Le blond-chauve se ferma dans le silence quelques instants, juste le temps de retirer sa veste, son écharpe et ses gants. Le nécromancien portait une tenue assez classique des années 1920. Le style vestimentaire du colosse n’avait que peu changé entre les années. Une tenue grise, bien évidemment, parce que cet homme respirait la joie de vivre !... ou de mourir, plutôt. Enfin, Potato, Potaytoo ! Ça revenait un peu au même, au final.

Barthélémy retira son veston et, tout en remontant ses manches, il se remit enfin à parler :

— “Nous allons désamorcer de canon et puis nous le transporterons enfin jusqu’à votre chambre, avec ou sans votre consentement.” Il se retourna vers le petit vampire, “Monsieur White, puis-je vous demander de ranger mes courses ? J’aimerais qu’elles restent au frais et malheureusement, je risque d’en avoir pour un moment.”

Le colosse souffla du nez, faisant vibrer sa belle moustache. Il regardait alors Astard. Pas sûr qu’il lui laisse du gâteau.⁴

Quand Liam le dépasse, Astard ne peut s'empêcher de se moquer. Et à raison, bon sang! Il vient chercher des noises au grand pirate, se pisse dessus quand l'intéressé se lève, et va se planquer dès la première occasion derrière les biscottos saillants de Barthélémy. Oh, il allait essuyer de ces humilitations sur le chemin, c'était tant mérité.

"Waf waf, M'sieur Croûton, j'espère que j'pourrais lécher votre brosse à dent après..."

Il avait bien sûr imité, avec une exactitude surprenante cependant, la voix de Liam. Hélas, leurs chemins contraires faisaient qu'il ne pourrait voir sa mine déconfite. Pas grave.

Bien sûr, l'autre centenaire allait le rejoindre sous peu. Il devait agir vite. Et quiconque le côtoie vous le donnera en mille: l'improvisation, c'est son fort. Ça, et les plans foireux. Oh, les délicieux plans foireux.

Avec la vivacité d'une anguille, il attrapait un briquet dans so poche et en faisait tomber trois au sol, et allumait la mèche du canon en un geste fulgurant. Puis, se retournant, il attrapait le refouloir sous le canon pour faire face à sa némésis.

"FIRE IN A HOLE, LANDLUBBERS !"

Il ne se pensait pas capable de vaincre le mangemort dans une confrontation phyisque ivre, mais avait juste à l'empêcher d'atteindre la mèche le temps qu'elle se consume. Chaque instant était précieux, il se faisait fièvreux. L'entièreté des affaires de Liam étaient sous la menace de la gueule du canon, l'enjeu était grand.