Résolution en millions de couleurs

Nul besoin de détourner le regard pour pressentir la tornade derrière eux. Quand bien même ses jambes soient agrandies pour détaler plus vite, l'incompréhension d'Ebiko les ralentit et la nécromancienne n'est pas loin de les foudroyer. Du moins, de le foudroyer, lui, en particulier.

Son amie s'est stoppée. Cassian aurait bien voulu la tirer davantage mais c'est impossible. Il prend un instant de considération pour fixer le problème : Ses pieds sont congelés par le froid. Elle n'a pas les autres aux pieds donc n'a commis aucun méfait et quand bien même, ça n'aurait pas été de son fait. Pour première réaction, il aurait simplement hausser les épaules car les problèmes des autres ne sont pas les siens. Or, il s'agit d'Ebiko et là est le problème ; il a besoin d'elle. D'un puissant soupir, il se résout à accomplir des efforts.

« Désolé, j'aurais pas dû t'emmener là-dedans. Je vais régler ça. »

Les mains sur les épaules de son acolyte, les crispations de ses lèvres sont pourtant si tendres qu'on a envie de le croire. Lui-même essaye de se persuader. Elle n'y est pour rien, c'est son problème. Il se débarrasse de son long par-dessus pour le mettre sur les épaules. Geste galant mais ce n'est pas là qu'elle a froid. D'un geste, il lui intime de rester discrète. Difficile avec des cheveux pareils qu'uniquement en cet instant, il maudit.

« Fais toi discrète un petit temps. On se redonne rendez-vous aux lunettes moches. Je m'occupe de chercher tes chaussures et de me débarrasser de la vendeuse. »

D'un pouce en l'air, Cassian se montre si confiant avec son amie mais dès qu'il fait volte-face vers la mission qui l'attend, il claque des dents. Mais c'est juste parce qu'il a froid, bien sûr. La vendeuse de chaussures en vue lorsqu'il fait quelques pas alors que sa complice, protégée par la foule. De toute façon, il n'y a pas mort d'homme. Il peut bien faire ça pour de bonnes faveurs.

Les excuses de Cassian semblent sincères, bien que la jeune femme ne comprenne toujours pas ce qui se passe. A-t-il été piqué par une mouche ? Elle entend bien des cris qui semblent les suivre, mais la raison lui échappe complètement.

Ses pieds sont de plus en plus froids sur les pavés de la rue, et un manteau en plus sur ses épaules n'y change pas grand chose. Ebiko ne voit pas non plus l'intérêt de se séparer, mais le ton plutôt inquiet du zombie la dissuade d'insister pour le moment. Se débarrasser de la vendeuse ? Elle le regarde s'éloigner dans la foule, hésite, et finit par se lancer à sa suite.

"Cassian !"

C'est là qu'elle la voit. La source du problème. La vendeuse. Des éclairs. Qui ont plutôt l'air dirigés contre eux, pour une raison qui la dépasse toujours. Si elle avait été plus proche, elle aurait vu le café sur les vêtements de la nécromancienne. De là où elle est, Ebiko ne distingue qu'une silhouette féminine illuminée qui gesticule en hurlant. Les passants s'écartent très largement sur son passage, sans oser s'interposer. Le risque de finir comme un marshmallow grillé est trop important.

Tant pis pour les chaussures, la zombie couronnée attrape le bras de son acolyte et fuis dans l'autre sens, bousculant des spectres trop lents à son goût s'il le faut.

Qu'importe la cible, elle est assez enragée pour foudroyer n'importe qui, tant que les principales.aux intéressé.e.s en payent le prix. Personne ne semble vouloir arrêter sa colère, au risque de l'empirer. Et bien entendu, les mangemorts ne sont pas là quand iels ont besoin d'elleux.
De la même manière, Ebiko ne prête que peu d'attention à qui est sur son passage ou non, tant qu'elle avance vite. Et bon sang, elle semble avoir compris le message pour avoir triplé sa cadence. Il ne sait s'il doit la féliciter, rire de l'accomplissement ou pleuré pour sa souffrance. En tout cas, qu'elle mène ainsi les rennes laisse le loisir à Cassian de réfléchir à un plan pour deux.

« Bibi-chan ! On devrait la perdre dans la station de métro... y aura... y aura trop de monde. Il faut juste qu'elle arrête de nous voir pour qu'un de nous deux prennent une potion d'apparence et ! Et boum ! On repart... Chercher tes chaussures comme si c'était un nouveau client ! De toute fa— »

Il reprend son souffle, un peu épuisé par la vitesse. Cassian essaye de ne pas ralentir la cadence mais son cardio ne suit pas. Il commence déjà à exécuter le plan et part en direction de la bouche dans le centre commercial en la tirant dans la direction.

« Potion d'apparence. Chaussures et j'lui chourre six paires supplémentaires incroyables tant qu'elle est pas dans son magasin. Tu les as bien méritées, ma Bibi. »

Dans un demi-tour extraordinaire, les voilà à nouveau dans le centre-commercial. depuis les multiples panneaux, Cassian essaye de chercher la sortie la plus proche mais peu pratique alors qu'en même-temps, dans sa grande besace à potions il cherche la potion adéquate. La multitude de sacs en papier et les lunettes à la con ne l'y aidant pas à y voir plus clair.

C'est à peine si Ebiko entend les idées de Cassian tandis qu'elle guide leur fuite à travers la foule qui promène dans le centre commercial. Soudain, il la fait changer de direction pour rejoindre le métro tokyoïte. Elle commence à s'essouffler, mais n'a pas le loisir de s'en inquiéter. Tout ce qu'elle veut, c'est récupérer ses chaussures. Si en plus elle ressort de cette petite sortie shopping avec des paires gratuites, elle ne va pas s'en plaindre.

Au moment-même où il sort une potion de son sac, ils dévalent les escaliers du métro, et Ebiko en profite pour s'arrêter pile derrière un très grand spectre parfait pour les dissimuler tous les deux, une véritable armoire à glace.

"Allez... Donne donc... Sinon on va finir par terre à ramper..." fait-elle en attendant qu'il lui passe la potion d'apparence.

Ce bref répit lui permet de reprendre un peu de souffle, heureusement pas assez pour se rendre compte qu'on les regarde bizarrement autour d'eux. Il ne manquerait plus qu'une photo ou vidéo d'eux passe sur les réseaux sociaux...

Mais c'est qu'elle ne lâche définitivement pas l'affaire ! Tout ce cirque pour une tâche de café alors que tout ceci aurait pu se réparer bien plus facilement. Cette femme veut vraiment la guerre. Plus qu'exténué, il est agacé par ce regard courroucé et les autres, plus interrogatifs. C'est ce que leur coûte une petite maladresse ?

Alors Cassian s'avance, devant elle, plus électrique que jamais. Lui plus bouillonnant qu'hier, il hurle sans honte dans le métro tokyoïte, juste pour reporter l'attention sur quelqu'un d'autre qu'elleux.

« Vous m'avez volé mon café, mes sacs, les chaussures de ma copine et maintenant, quoi d'autre ? Espèce de racketteuse ! Vous en prendre aux pauvres spectres qui viennent d'arriver, c'est ça les nécromanciens ? »

En un instant, les regards portés sur le duo finissent vers l'inculpée qui lui lâche des yeux ronds. Il n'a pas le temps d'observer plus de temps son regard qu'il prend déjà la fuite en mimant des pleurs lointains. Mais au vu du grondement de tonnerre, il comprend qu'iels ne sont pas au bout de leur peine. Mais c'est assez. C'est assez pour que Cassian et Ebiko lui échappe dans un ascenseur. Il la voit galoper alors que les portes se referment, contre ses paumes. Elle tambourine sa défaite contre l'acier.

Le garçon soupire et tombe sur ses fesses. Son sac heureusement toujours avec lui, ils ont très certainement égaré d'autres affaires achetées au compte goût mais il a bien pensé à reprendre son amie et sa potion dans l'énième fuite.

« On est pas encore sorti de là donc, tiens. La potion que tu voulais. Chose promise, chose dûe. »

Avant de passer la moitié du flacon à son ami, c'est entre plusieurs expirations dû à la fuite que le liquide dévale enfin dans sa gorge. Pour être quelqu'un d'autre, encore. Il la tend à sa meilleure amie, toujours assis dans l'ascenseur qu'il ne partage heureusement qu'à deux. Assis ou debout, on ne sait à vrai dire plus.

Malheureusement pour les deux fuyards, le spectre les dissimulant à la vue de la vendeuse en furie décide de bouger au plus mauvais moment. C'est donc bouche bée qu'Ebiko regarde Cassian hurler sur la nécromancienne. Cette tirade suffit à détourner l'attention des autres, assez pour leur permettre de disparaître dans un ascenseur.

C'est seulement dans la tranquillité de cet espace clos que la jeune femme se permet enfin de respirer, comme si elle avait été en apnée depuis le début de leur fuite. Ils vont enfin pouvoir changer d'apparence et espérer lui échapper complètement.

"Parfait, merci."

Elle accepte la potion avec soulagement et s'empresse de finir la bouteille. Sa gorge est complètement sèche, il serait peut-être temps qu'ils aillent se poser dans un café ou au bar pour finir de se remettre de leurs émotions. Pas certaine des effets que la potion va avoir, Ebiko profite du miroir pour se recoiffer. Il ne manquerait plus qu'elle finisse avec des cheveux verts caca d'oie. Son cauchemar ultime. Heureusement, Cassian ne doit pas se promener avec ce genre de couleur immonde, il a trop bon goût pour ça. Changer de tête oui, mais avec style.

"On va au bar à potions histoire de finir cette journée en beauté ? Foutu pour foutu..."

C'est alors qu'elle remarque ses doigts commencent à s'effacer. Et en jetant un coup d'oeil à son ami, lui aussi semble transparent. Fébrilement, elle ramasse la bouteille pour lire l'étiquette : potion d'invisibilité.

"Dis, tu t'es pas un peu planté ?"

Figures de style impeccables, leur premier réflexe après cette épopée n'est que d'inspecter que leur apparence n'est pas entachée. Chacun de leur côté. Check si tout est ok.
Sauf que rien ne va. Ses cheveux ont perdu de leurs reflets roux, soigneusement travaillés. Adieu le beau travail. Les couleurs se confondent dans le reflet du miroir, jusqu'à en devenir d'un fade transparent. Les boucles dessinés deviennent grossières esquisses jusqu'à disparaître.

Un peu paniqué à cette idée, Cassian réagit premièrement au quart de tour alors son amie se révèle purement calme puisque sans doute habituée à ce qu'il se gourre. Mais bon, là, c'est pas tant la faute de son inattention. Il n'a même pas eu le temps d'être attentif !

« En même temps, elle nous coursait ! Comment veux-tu que je lise une étiquette aussi facilement ? Et je les range à côté, mon doigt a ripé et c'est parti sur ça. »

Il s'agite mais à l'impression de parler dans le vide. Ça ne sert à rien de justifier. Et encore moins de se justifier à une glace d'ascenseur. Ça ne sert à rien d'autant paniquer. C'est affaire commune. Et le zombie a constamment de la ressource, se servant même des pires situations pour en obtenir quelque chose de fructueux. Iels ne vont pas se reposer sur leurs lauriers et allaient juste boire un verre au bar pour se consoler. Non, iels feront mieux.

« Attends, je t'ai promis qu'on récupérerait tes chaussures. On va le faire. Et on va même faire mieux, Ebiko. Je t'ai dit, elle nous a fait vivre un enfer pour rien. Je vais lui voler tout son magasin. Mieux, je vais lui dégueulasser, son magasin. Le retourner ! Et la renvoyer, cette cinglé. C'est tout ce qu'elle mérite ! »

En dépit d'un débit prompt et brutal, laissant penser à une colère, Cassian se montre surtout effroyablement revanchard. Elle ne peut le voir, ce frottement de mains machiavélique ou ce sourire diabolique. Mais Cassian sans repos, ne s'arrêtera pas en si bon chemin. Il va en faire baver parce qu'il ne faut pas le chercher. Iels ne pourront certainement pas prendre une flopée de chaussures mais il y aura de quoi faire plaisir.