TADAM ? :
... Heureusement que j'ai fait ce texte hors épreuve, hein. Parce que le total de XXXX mots... Voilà. Hein. BREF.
Je ne vous représente pas totalement mon hurluberlu de service, vous voyez déjà à peu près de qui je parle :
(bonsoir) (c'est toujours lui)
Enjoie ?
rencontre
n.f. - Hasard, occasion qui fait trouver fortuitement
une personne, une chose.
une personne, une chose.
Tes yeux captent une palette de couleurs fugaces.
Et puis plus rien.
Tu as mal partout. L’impression d’avoir dormi à même le sol pendant des heures. La tête lourde et le carillon instable d’un reste d’acouphène contre les tympans. Tes paupières s’ouvrent, se ferment, papillonnent ; tu as le réflexe de vouloir lever une main ; tes articulations sont lestées avec du plomb, tes phalanges frémissent à peine. Tu forces dessus, jusqu’à sentir tes ongles te rentrer dans la peau. Et tu comptes. Un. Deux. Trois ; tu donnes une brève impulsion dans ton épaule pour la décoller du sol et rouler sur le côté, en posant une main à plat, en appui sur un coude. Tu t’attends à sentir les interstices aigus des lattes d’un vieux parquet sous ta paume, mais c’est une matière douce qui accueille ton épiderme.
Tu clignes des yeux, surpris, le souffle en suspens. Termines de te relever avec une légère grimace, tes dents viennent brièvement entamer ta lèvre alors que l’air siffle entre tes dents quand tu inspires. Tu regardes, autour de toi, les rétines gênées par la luminosité ambiante ; elle est pourtant douce. Tu plisses les yeux, il y a un meuble sur ta gauche.
Tu le connais ; non, tu le reconnais. Que fait-il ici. Il n’a rien à faire là, l’évidence vient tinter contre la paroi de ton crâne à t’en faire incliner la tête de côté. Tu fronces les sourcils en cherchant pourquoi. Pourquoi est-ce que ce meuble est là, il n’a rien à y faire, il est chez ta grand-mère, ce secrétaire. Tu veux faire un pas pour t’en approcher, la main tendue.
Tu lèves un pied du sol et le monde bascule en arrière d’un coup sec. Tu sens tes genoux céder alors que ton champ de vision se réduit tandis que les couleurs autour de toi se floutent.
« Attention ! fait une voix, derrière-toi, alors que des mains t’attrapent et t’accompagnent doucement jusqu’au sol.
Le monde, il tournoie encore. Tu as ce réflexe de fermer les yeux, la sensation ne fait que s’accentuer ; alors tu rouvres les paupières. Tu poses tes mains de chaque côté, à la recherche d’un appui stable. Encore cette matière. Douce. Elle est même familière, mais tu n’arrives pas à savoir d’où tu la connais. D’où tu la reconnais. Et cette odeur. De bois vernis, d’un peu de poussière ; de cendres, comme si une cheminée avait été allumée, récemment.
« Ça va ? »
La voix est passée devant toi. Là. Juste en face. Tu redresses un peu l’échine pour pouvoir la regarder. Tu ne connais pas cet homme. Tu ne connais pas cet homme ? Si tu l’avais déjà rencontré, tu t’en souviendrais. Non ? Si. Tu te souviens des gens que tu rencontres, dès que tu les recroises, normalement. Rien n’est normal ici, bon sang.
Il reste tout ça, là. Le monde, autour de toi. Le secrétaire, la douceur sous tes paumes ; tu distinguerais presque des murs, si tu osais bouger la tête. Tu as peur de tomber. Tu clignes plusieurs fois des yeux pour chasser le vertige, en regardant l’homme en face de toi. Son visage marqué par les années, les fils blancs qui courent dans les vagues sombres de ses cheveux. Son air paisible, la tranquillité dans ses yeux noirs.
Il a encore la main sur ton épaule.
« Excusez-moi, monsieur, mais... »
Tu le vois.
Sourire.
Enfin, il souriait déjà avant, des pattes d’oie aux coins des yeux. Mais tu ne peux que rester là, et regarder ses lèvres s’étirer. Encore un peu ; encore un peu plus, avant qu’elles ne se séparent et qu’un éclat de rire ne secoue sa poitrine, vienne résonner dans la pièce.
La pièce ? Avec un bref regard au-dessus de ta tête, tu distingues des solives.
« Allons... Je sais que nous n’avons jamais vraiment eu l’occasion de nous rencontrer, mais tout de même... Monsieur... »
La main quitte ton épaule. Un peu ; elle revient dessus, tapote la clavicule avant de s’en aller. L’air est froid, contre ta chemise, contre ta peau. Et tes paupières, qui n’en finissent pas de papillonner, tu les fermes un bon coup. Finis par les rouvrir pour découvrir à quel point le décor a changé, et l’homme, en face de toi. Maintenant, il est tranquillement assis dans un fauteuil.
« Je... »
Ne sais pas où je suis.
Maintenant que tu peux apprécier les choses qui t’entourent ; non, tu ne sais pas. Il y a tellement d’éléments familiers, mais ils ne sont pas là où ils devraient être. La matière rase, tantôt douce, tantôt rêche du tapis sous tes paumes, tu la connais. Mon Dieu, tu la connais, tu détestes t’allonger sur ce tapis sans un pull, les fibres démangent si tu n’as rien de plus épais qu’un t-shirt. Les motifs, les arabesques, les pointes de bleu marine sur le fond de rouge. Coquelicot, autrefois.
Il y a un coin délavé par le soleil, affiné par le passage des gens qui peuplent la maison ; qui peuplent la maison ?
Tu tournes la tête et la fenêtre te renvoie la façade d’un immeuble. Tu n’es pas dans la maison, alors où es-tu. Tu ne connais pas cette façade, alors pourquoi ne paraît-elle pas étrangère. Ton attention revient d’elle-même sur l’homme, dans son fauteuil.
Tout t’es familier ici mais tu ne sais toujours pas où tu es. Tes phalanges se replient doucement, alors que tu dévisages cette nouvelle figure, qui te dit pourtant quelque chose. Juste un petit quelque chose. De rien du tout. Tu ne parviens pas à mettre le doigt dessus ; tu sens encore le tapis sous ta main, tu n’aurais qu’à t’allonger dessus.
A fermer les yeux.
Tu serais à Paks.
Tu n’y es pas. Tu es toujours là, en face de ce parfait inconnu, instable. Appuyé sur tes deux mains, avec un reste de tournis plaqué à l’arrière du crâne et des souvenirs tout en hachures. Le secrétaire. Le tapis. L’odeur de cendre et de pierre chaude, de bois poussiéreux ; le tic-tac régulier d’une horloge quelque part, le murmure ténu de ta respiration. De la sienne.
Ces mots que vous n’échangez pas, leur silence a envahi l’espace inégalement peuplé où vous vous fixez en chiens de faïence ; il n’a pas cessé de sourire, on dirait. On dirait qu’il attend.
Ses traits ne te sont pas si étrangers que ça. Tu le connais ? Tu n’as pas l’impression, vraiment, mais tu ne peux te défaire de cette impression de déjà-vu ; et son sourire. Il te regarde avec la bienveillance d’un parent, un amusement logé dans le fond des yeux, le coin de ses lèvres relevé. Espiègle. Tu me connais ? Il regarde le secrétaire.
Et ton regard glisse, suit le mouvement, se pose sur ce meuble plus vieux que toi, ce petit meuble en bois. Les cadres, qui sont savamment posés dessus, tu les connais aussi, tu les as vus tous les étés. Ils te manquaient, un peu, tu voudrais pouvoir les voir plus souvent. Revoir les photos qui sont prises au piège dedans. Les photographies.
L’homme, en face de toi.
Les photographies. Dans ton cerveau, un rouage cliquète plus fort que les autres. Ton visage s’éclaire un bref instant avant que tu ne tournes une figure un peu circonspecte vers ton hôte, dont le sourire s’est imperceptiblement élargi, alors qu’il contemple encore le secrétaire posé à flanc de mur.
« ... Éliás ? »
Tu tentes, juste comme ça. Et il sourit, encore un peu plus. On dirait que tu as visé juste ; et tu revois la photo que tu aimais observer, quand tu étais plus jeune. Ce cliché en noir et blanc, du mariage de tes grands-parents.
« C’est déjà mieux, approuve-t-il avec un mouvement de la tête pondéré.
Tes paupières ont cessé de cligner. Tu le fixes, tentant de remettre l’information dans son contexte, mais tu n’y parviens pas. Trop d’incertitudes. Trop d’anomalies. Pourquoi es-tu sur ce tapis, tu as encore la tête qui tourne, un peu. Tu déglutis, machinalement. Éliás Jancsi, c’était ton grand-père.
Mais il est mort dix ans avant que tu ne viennes au monde, tu ne l’as pour ainsi dire jamais connu. Juste vu. Sur du papier à photo. Tu as appris quelques détails sur sa vie, par les mots des autres ; ta mère, ta grand-mère. Ton père, un peu moins. Éliás Jancsi, dans son fauteuil, qui te regarde avec un sourire doux et comme une pointe de sévérité toute parentale dans les yeux.
« Tu ressembles à ton père. »
Tes sourcils se rapprochent et dessinent une légère ride au milieu de ton front. C’est bien la première fois, qu’on te dit ça. Les autres s’accordent plus à dire que c’est à ta mère que tu ressembles le plus. Tu entrouvres la bouche comme pour répondre.
« Lui aussi, il m’appelait monsieur. Monsieur Éliás. »
Tu réponds à peine. Juste un son bas qui perce à travers tes lèvres closes, alors que ton regard descend pour fixer un coin du tapis. Là. Près du pied du fauteuil. Ton grand-père celui que tu n’as jamais pu voir qu’à travers la lentille d’un appareil photo, celui que tu n’allais jamais voir. Si les choses s’étaient passées correctement. Normalement.
Que s’est-il passé tu te souviens des couleurs et puis d’être arrivé ici. Tu as encore mal. Ton cerveau n’a juste plus le cœur à se concentrer sur toutes ces piqûres qui te traversent, même le vertige, tu sembles capable de l’ignorer.
Ton grand-père. Il est mort.
« ... Je suis mort... ? tu souffles entre ces murs qui n’ont rien à faire là.
Ton diaphragme cesse de fonctionner. Le monde autour de toi se trouble, mais tu ne frémis pas. Ta mâchoire se met à trembler ; tu es mort ? Tu ne peux pas être mort. Pas maintenant, non. Tu n’as que trente-et-un ans, tu ne peux pas...
« Tu n’es pas mort. »
Quand tu relèves la tête d’un coup sec, une larme glisse le long de ton épiderme ; elle vient se perdre dans la courbe de ton cou. Elle sèche. Démange. Tu l’ignores.
Tu n’es pas mort. Le sourire d’Éliás s’est réchauffé, que fait-il de nouveau en face de toi. Un genou à terre, il lève une main. Il lève une main et la passe doucement sur ta tête, dans tes cheveux, il écarte une mèche de ton visage. Tu sens ta paume. Contre l’arrière de ton crâne. Ses doigts, contre ta nuque.
« Tu n’es pas mort, répète-t-il avec cette douceur que tu connais d’habitude chez ta mère.
Tu n’es pas mort. Ta mâchoire se serre un peu. Et ta poitrine s’ouvre, quand tes poumons se remettent en mouvement, tu inspires à fond. L’air est froid. Il te pique l’intérieur du nez, l’intérieur de la poitrine. Tu n’y fais pas attention. Tu n’es pas mort. Puisqu’il le dit. Et lui, il l’est. Il l’est depuis une quarantaine d’années, déjà, quand même. Tu laisses un soupir t’échapper et tes épaules descendent d’un cran. Et ton grand-père ne t’a pas lâché, et tu restes là, tu n’essaies pas de fuir. Tu pourrais fermer les yeux, tu as l’impression de n’avoir qu’une dizaine d’années.
De t’être écorché un genou, la paume des mains, en tombant, comme tous les enfants. Et ton grand-père serait là. Pour te dire que, eh, ça va, ce n’est pas grave. Ça arrive. Tu n’as aucune idée du temps qui passe, malgré le cliquetis régulier d’une horloge que tu ne peux pas voir ; et tu laisses une de tes mains quitter le tapis pour venir s’agripper au coude d’Éliás, de ton grand-père. Tu peux le toucher, pourtant tu n’es pas mort.
Lui si.
Et tu as envie de lui demander.
Grand-père.
Qu’est-ce que ça fait, d’être mort ; toi qui travailles avec elle, toi qui connais son emploi du temps par cœur, il te reste encore cette question à fleur de méninges. Qu’est-ce que ça fait, d’être mort, puisque tu ne l’es pas. Mais tu te tais. Tu gardes ton interrogation pour toi. De toute façon, tu ne sais pas comment t’adresser à lui ; le tutoyer, le vouvoyer, tu n’as aucune idée de comment faire. Et tu voudrais savoir pourquoi ; pourquoi tu es là, ça n’a strictement aucun sens. Tes doigts se serrent, sur la manche de ton grand-père, tu baisses la tête.
C’est idiot.
Pourquoi est-ce que vous ne vous parlez pas, vous ne vous êtes jamais connus. Vous pourriez parler, vous pourriez échanger, tout ce que vous avez vécu. Tu pourrais, oui, tu pourrais lui dire. Lui dire qu’il a une arrière-petite-fille ; lui dire que tu as finalisé tes études ; lui dire que tu convoites toujours cette recette dans le répertoire de ta grand-mère, son épouse, et que tu te fais toujours chasser de la cuisine sans préavis.
« Grand-père... »
Les mots t’échappent.
Ils se perdent. Trop tard, tu ne les retrouveras pas. La main repasse dans tes cheveux, elle y remet du désordre, le talon de la paume retrouve sa position, contre ta nuque.
« Je suis fier de toi. »
La main s’en va, et l’air est froid. Tu sens, les phalanges glisser. Le long de ton cou, le long de ta joue. Et elles reviennent, ébouriffent vaguement le dessus de ton crâne. Il n’y a que l’ombre de ton grand-père que tu perçois. Tu as lâché sa manche à contrecœur, tes doigts se sont détendus tous seuls, comme répondant à un ordre tacite que tu ne peux faire que deviner.
Il y a le tic-tac de l’horloge que tu ne peux pas voir. Mesuré. Cadencé. Tic, tac, tic, tac, il est l’heure, mais pas la tienne.
« Au revoir, Istvan. »
Et tu ramènes ta main vers toi. Au revoir, grand-père ; mais maintenant qu’on te donne la chance de le dire, les mots se bloquent contre ton palais. Quand tu fermes les yeux, relèves la tête, la pluie reste accrochée dans tes cils.
Il y a des couleurs. Elles font mal aux yeux, tu veux les refermer.
Il y a un néon.
Le bip rythmé d’un moniteur, il donne ta fréquence cardiaque. Tu veux tourner la tête, tes cervicales refusent de te laisser faire. Tu grimaces, tu as mal partout. L’impression d’avoir dormi à même le sol pendant des heures, tu veux lever une main mais la moindre de tes articulations est lestée avec du plomb.
Tes phalanges frémissent à peine.
Une ombre passe dans ton champ de vision. Une silhouette que tu ne connais pas, tu as du mal à garder les paupières ouvertes, quand tu essaies de parler, tu ne parviens qu’à manquer de tousser.
Vous avez eu un accident.
Le néon, c’est celui de l’hôpital. La silhouette, c’est celle d’une infirmière, qui pose une main sur ton visage pour te faire fermer les yeux ; tu te laisses faire, tu te sens déjà somnoler.
Reposez-vous pour le moment. Je repasserai plus tard.
Tes lèvres bougent en silence ; au revoir.
Et puis plus rien.
Tu as mal partout. L’impression d’avoir dormi à même le sol pendant des heures. La tête lourde et le carillon instable d’un reste d’acouphène contre les tympans. Tes paupières s’ouvrent, se ferment, papillonnent ; tu as le réflexe de vouloir lever une main ; tes articulations sont lestées avec du plomb, tes phalanges frémissent à peine. Tu forces dessus, jusqu’à sentir tes ongles te rentrer dans la peau. Et tu comptes. Un. Deux. Trois ; tu donnes une brève impulsion dans ton épaule pour la décoller du sol et rouler sur le côté, en posant une main à plat, en appui sur un coude. Tu t’attends à sentir les interstices aigus des lattes d’un vieux parquet sous ta paume, mais c’est une matière douce qui accueille ton épiderme.
Tu clignes des yeux, surpris, le souffle en suspens. Termines de te relever avec une légère grimace, tes dents viennent brièvement entamer ta lèvre alors que l’air siffle entre tes dents quand tu inspires. Tu regardes, autour de toi, les rétines gênées par la luminosité ambiante ; elle est pourtant douce. Tu plisses les yeux, il y a un meuble sur ta gauche.
Tu le connais ; non, tu le reconnais. Que fait-il ici. Il n’a rien à faire là, l’évidence vient tinter contre la paroi de ton crâne à t’en faire incliner la tête de côté. Tu fronces les sourcils en cherchant pourquoi. Pourquoi est-ce que ce meuble est là, il n’a rien à y faire, il est chez ta grand-mère, ce secrétaire. Tu veux faire un pas pour t’en approcher, la main tendue.
Tu lèves un pied du sol et le monde bascule en arrière d’un coup sec. Tu sens tes genoux céder alors que ton champ de vision se réduit tandis que les couleurs autour de toi se floutent.
« Attention ! fait une voix, derrière-toi, alors que des mains t’attrapent et t’accompagnent doucement jusqu’au sol.
Le monde, il tournoie encore. Tu as ce réflexe de fermer les yeux, la sensation ne fait que s’accentuer ; alors tu rouvres les paupières. Tu poses tes mains de chaque côté, à la recherche d’un appui stable. Encore cette matière. Douce. Elle est même familière, mais tu n’arrives pas à savoir d’où tu la connais. D’où tu la reconnais. Et cette odeur. De bois vernis, d’un peu de poussière ; de cendres, comme si une cheminée avait été allumée, récemment.
« Ça va ? »
La voix est passée devant toi. Là. Juste en face. Tu redresses un peu l’échine pour pouvoir la regarder. Tu ne connais pas cet homme. Tu ne connais pas cet homme ? Si tu l’avais déjà rencontré, tu t’en souviendrais. Non ? Si. Tu te souviens des gens que tu rencontres, dès que tu les recroises, normalement. Rien n’est normal ici, bon sang.
Il reste tout ça, là. Le monde, autour de toi. Le secrétaire, la douceur sous tes paumes ; tu distinguerais presque des murs, si tu osais bouger la tête. Tu as peur de tomber. Tu clignes plusieurs fois des yeux pour chasser le vertige, en regardant l’homme en face de toi. Son visage marqué par les années, les fils blancs qui courent dans les vagues sombres de ses cheveux. Son air paisible, la tranquillité dans ses yeux noirs.
Il a encore la main sur ton épaule.
« Excusez-moi, monsieur, mais... »
Tu le vois.
Sourire.
Enfin, il souriait déjà avant, des pattes d’oie aux coins des yeux. Mais tu ne peux que rester là, et regarder ses lèvres s’étirer. Encore un peu ; encore un peu plus, avant qu’elles ne se séparent et qu’un éclat de rire ne secoue sa poitrine, vienne résonner dans la pièce.
La pièce ? Avec un bref regard au-dessus de ta tête, tu distingues des solives.
« Allons... Je sais que nous n’avons jamais vraiment eu l’occasion de nous rencontrer, mais tout de même... Monsieur... »
La main quitte ton épaule. Un peu ; elle revient dessus, tapote la clavicule avant de s’en aller. L’air est froid, contre ta chemise, contre ta peau. Et tes paupières, qui n’en finissent pas de papillonner, tu les fermes un bon coup. Finis par les rouvrir pour découvrir à quel point le décor a changé, et l’homme, en face de toi. Maintenant, il est tranquillement assis dans un fauteuil.
« Je... »
Ne sais pas où je suis.
Maintenant que tu peux apprécier les choses qui t’entourent ; non, tu ne sais pas. Il y a tellement d’éléments familiers, mais ils ne sont pas là où ils devraient être. La matière rase, tantôt douce, tantôt rêche du tapis sous tes paumes, tu la connais. Mon Dieu, tu la connais, tu détestes t’allonger sur ce tapis sans un pull, les fibres démangent si tu n’as rien de plus épais qu’un t-shirt. Les motifs, les arabesques, les pointes de bleu marine sur le fond de rouge. Coquelicot, autrefois.
Il y a un coin délavé par le soleil, affiné par le passage des gens qui peuplent la maison ; qui peuplent la maison ?
Tu tournes la tête et la fenêtre te renvoie la façade d’un immeuble. Tu n’es pas dans la maison, alors où es-tu. Tu ne connais pas cette façade, alors pourquoi ne paraît-elle pas étrangère. Ton attention revient d’elle-même sur l’homme, dans son fauteuil.
Tout t’es familier ici mais tu ne sais toujours pas où tu es. Tes phalanges se replient doucement, alors que tu dévisages cette nouvelle figure, qui te dit pourtant quelque chose. Juste un petit quelque chose. De rien du tout. Tu ne parviens pas à mettre le doigt dessus ; tu sens encore le tapis sous ta main, tu n’aurais qu’à t’allonger dessus.
A fermer les yeux.
Tu serais à Paks.
Tu n’y es pas. Tu es toujours là, en face de ce parfait inconnu, instable. Appuyé sur tes deux mains, avec un reste de tournis plaqué à l’arrière du crâne et des souvenirs tout en hachures. Le secrétaire. Le tapis. L’odeur de cendre et de pierre chaude, de bois poussiéreux ; le tic-tac régulier d’une horloge quelque part, le murmure ténu de ta respiration. De la sienne.
Ces mots que vous n’échangez pas, leur silence a envahi l’espace inégalement peuplé où vous vous fixez en chiens de faïence ; il n’a pas cessé de sourire, on dirait. On dirait qu’il attend.
Ses traits ne te sont pas si étrangers que ça. Tu le connais ? Tu n’as pas l’impression, vraiment, mais tu ne peux te défaire de cette impression de déjà-vu ; et son sourire. Il te regarde avec la bienveillance d’un parent, un amusement logé dans le fond des yeux, le coin de ses lèvres relevé. Espiègle. Tu me connais ? Il regarde le secrétaire.
Et ton regard glisse, suit le mouvement, se pose sur ce meuble plus vieux que toi, ce petit meuble en bois. Les cadres, qui sont savamment posés dessus, tu les connais aussi, tu les as vus tous les étés. Ils te manquaient, un peu, tu voudrais pouvoir les voir plus souvent. Revoir les photos qui sont prises au piège dedans. Les photographies.
L’homme, en face de toi.
Les photographies. Dans ton cerveau, un rouage cliquète plus fort que les autres. Ton visage s’éclaire un bref instant avant que tu ne tournes une figure un peu circonspecte vers ton hôte, dont le sourire s’est imperceptiblement élargi, alors qu’il contemple encore le secrétaire posé à flanc de mur.
« ... Éliás ? »
Tu tentes, juste comme ça. Et il sourit, encore un peu plus. On dirait que tu as visé juste ; et tu revois la photo que tu aimais observer, quand tu étais plus jeune. Ce cliché en noir et blanc, du mariage de tes grands-parents.
« C’est déjà mieux, approuve-t-il avec un mouvement de la tête pondéré.
Tes paupières ont cessé de cligner. Tu le fixes, tentant de remettre l’information dans son contexte, mais tu n’y parviens pas. Trop d’incertitudes. Trop d’anomalies. Pourquoi es-tu sur ce tapis, tu as encore la tête qui tourne, un peu. Tu déglutis, machinalement. Éliás Jancsi, c’était ton grand-père.
Mais il est mort dix ans avant que tu ne viennes au monde, tu ne l’as pour ainsi dire jamais connu. Juste vu. Sur du papier à photo. Tu as appris quelques détails sur sa vie, par les mots des autres ; ta mère, ta grand-mère. Ton père, un peu moins. Éliás Jancsi, dans son fauteuil, qui te regarde avec un sourire doux et comme une pointe de sévérité toute parentale dans les yeux.
« Tu ressembles à ton père. »
Tes sourcils se rapprochent et dessinent une légère ride au milieu de ton front. C’est bien la première fois, qu’on te dit ça. Les autres s’accordent plus à dire que c’est à ta mère que tu ressembles le plus. Tu entrouvres la bouche comme pour répondre.
« Lui aussi, il m’appelait monsieur. Monsieur Éliás. »
Tu réponds à peine. Juste un son bas qui perce à travers tes lèvres closes, alors que ton regard descend pour fixer un coin du tapis. Là. Près du pied du fauteuil. Ton grand-père celui que tu n’as jamais pu voir qu’à travers la lentille d’un appareil photo, celui que tu n’allais jamais voir. Si les choses s’étaient passées correctement. Normalement.
Que s’est-il passé tu te souviens des couleurs et puis d’être arrivé ici. Tu as encore mal. Ton cerveau n’a juste plus le cœur à se concentrer sur toutes ces piqûres qui te traversent, même le vertige, tu sembles capable de l’ignorer.
Ton grand-père. Il est mort.
« ... Je suis mort... ? tu souffles entre ces murs qui n’ont rien à faire là.
Ton diaphragme cesse de fonctionner. Le monde autour de toi se trouble, mais tu ne frémis pas. Ta mâchoire se met à trembler ; tu es mort ? Tu ne peux pas être mort. Pas maintenant, non. Tu n’as que trente-et-un ans, tu ne peux pas...
« Tu n’es pas mort. »
Quand tu relèves la tête d’un coup sec, une larme glisse le long de ton épiderme ; elle vient se perdre dans la courbe de ton cou. Elle sèche. Démange. Tu l’ignores.
Tu n’es pas mort. Le sourire d’Éliás s’est réchauffé, que fait-il de nouveau en face de toi. Un genou à terre, il lève une main. Il lève une main et la passe doucement sur ta tête, dans tes cheveux, il écarte une mèche de ton visage. Tu sens ta paume. Contre l’arrière de ton crâne. Ses doigts, contre ta nuque.
« Tu n’es pas mort, répète-t-il avec cette douceur que tu connais d’habitude chez ta mère.
Tu n’es pas mort. Ta mâchoire se serre un peu. Et ta poitrine s’ouvre, quand tes poumons se remettent en mouvement, tu inspires à fond. L’air est froid. Il te pique l’intérieur du nez, l’intérieur de la poitrine. Tu n’y fais pas attention. Tu n’es pas mort. Puisqu’il le dit. Et lui, il l’est. Il l’est depuis une quarantaine d’années, déjà, quand même. Tu laisses un soupir t’échapper et tes épaules descendent d’un cran. Et ton grand-père ne t’a pas lâché, et tu restes là, tu n’essaies pas de fuir. Tu pourrais fermer les yeux, tu as l’impression de n’avoir qu’une dizaine d’années.
De t’être écorché un genou, la paume des mains, en tombant, comme tous les enfants. Et ton grand-père serait là. Pour te dire que, eh, ça va, ce n’est pas grave. Ça arrive. Tu n’as aucune idée du temps qui passe, malgré le cliquetis régulier d’une horloge que tu ne peux pas voir ; et tu laisses une de tes mains quitter le tapis pour venir s’agripper au coude d’Éliás, de ton grand-père. Tu peux le toucher, pourtant tu n’es pas mort.
Lui si.
Et tu as envie de lui demander.
Grand-père.
Qu’est-ce que ça fait, d’être mort ; toi qui travailles avec elle, toi qui connais son emploi du temps par cœur, il te reste encore cette question à fleur de méninges. Qu’est-ce que ça fait, d’être mort, puisque tu ne l’es pas. Mais tu te tais. Tu gardes ton interrogation pour toi. De toute façon, tu ne sais pas comment t’adresser à lui ; le tutoyer, le vouvoyer, tu n’as aucune idée de comment faire. Et tu voudrais savoir pourquoi ; pourquoi tu es là, ça n’a strictement aucun sens. Tes doigts se serrent, sur la manche de ton grand-père, tu baisses la tête.
C’est idiot.
Pourquoi est-ce que vous ne vous parlez pas, vous ne vous êtes jamais connus. Vous pourriez parler, vous pourriez échanger, tout ce que vous avez vécu. Tu pourrais, oui, tu pourrais lui dire. Lui dire qu’il a une arrière-petite-fille ; lui dire que tu as finalisé tes études ; lui dire que tu convoites toujours cette recette dans le répertoire de ta grand-mère, son épouse, et que tu te fais toujours chasser de la cuisine sans préavis.
« Grand-père... »
Les mots t’échappent.
Ils se perdent. Trop tard, tu ne les retrouveras pas. La main repasse dans tes cheveux, elle y remet du désordre, le talon de la paume retrouve sa position, contre ta nuque.
« Je suis fier de toi. »
La main s’en va, et l’air est froid. Tu sens, les phalanges glisser. Le long de ton cou, le long de ta joue. Et elles reviennent, ébouriffent vaguement le dessus de ton crâne. Il n’y a que l’ombre de ton grand-père que tu perçois. Tu as lâché sa manche à contrecœur, tes doigts se sont détendus tous seuls, comme répondant à un ordre tacite que tu ne peux faire que deviner.
Il y a le tic-tac de l’horloge que tu ne peux pas voir. Mesuré. Cadencé. Tic, tac, tic, tac, il est l’heure, mais pas la tienne.
« Au revoir, Istvan. »
Et tu ramènes ta main vers toi. Au revoir, grand-père ; mais maintenant qu’on te donne la chance de le dire, les mots se bloquent contre ton palais. Quand tu fermes les yeux, relèves la tête, la pluie reste accrochée dans tes cils.
Il y a des couleurs. Elles font mal aux yeux, tu veux les refermer.
Il y a un néon.
Le bip rythmé d’un moniteur, il donne ta fréquence cardiaque. Tu veux tourner la tête, tes cervicales refusent de te laisser faire. Tu grimaces, tu as mal partout. L’impression d’avoir dormi à même le sol pendant des heures, tu veux lever une main mais la moindre de tes articulations est lestée avec du plomb.
Tes phalanges frémissent à peine.
Une ombre passe dans ton champ de vision. Une silhouette que tu ne connais pas, tu as du mal à garder les paupières ouvertes, quand tu essaies de parler, tu ne parviens qu’à manquer de tousser.
Vous avez eu un accident.
Le néon, c’est celui de l’hôpital. La silhouette, c’est celle d’une infirmière, qui pose une main sur ton visage pour te faire fermer les yeux ; tu te laisses faire, tu te sens déjà somnoler.
Reposez-vous pour le moment. Je repasserai plus tard.
Tes lèvres bougent en silence ; au revoir.