The yellow hand [Yashiro & Céleste]

Alors que Yashiro s’apprête à sortir son matériel pour entamer les modifications, la voix de sa cliente l’arrête dans son élan. Elle complimente son thé et cela lui fait plaisir, ce n’est pas souvent qu’il en fait pour les autres même si récemment, il en a fait pour sa colocataire. Un dernier sourire puis son visage disparaît dans son travail. Il possède quelques outils sous le coude, mais il lui arrive parfois de devoir faire des aller-retours dans sa chambre, le manteau sous le bras. Certains secrets ne doivent pas être dévoilés. En réalité, Shiro s’en moquait un peu mais il était plus simple pour lui de travailler directement dans sa chambre, c’est un cadre plus habituel pour lui et il s’y sent mieux. Ce n’est pas souvent que quelqu’un assiste à son travail, ses colocataires ne s’y intéressent pas des masses et de toute façon, il préfère s’enfermer dans sa chambre pour éviter toute distraction.
Après de très longues minutes de travail, de déplacement et parfois, de doigt pris par mégarde dans une aiguille, Yashiro a enfin terminé les modifications. Il dépose une nouvelle fois le manteau sur le mannequin, il vérifie que tout est bon : un regard dans son carnet, quelques mesures supplémentaires, une main qui passe sur le vêtement pour voir s’il y a un défaut. D’un hochement de tête satisfait, il s’apprête à prévenir sa commanditaire quand celle-ci reprend la parole. Inattendu, son corps sursaute et ses iris marrons se posent sur elle, il l’interroge du regard. Elle semble s’intéresser aux modifications qu’il vient de finir, mais ce n’est que de la curiosité pour passer le temps, c’est ce qu’il pense. Un nouveau sourire étire ses lèvres alors que sa main tapote sa propre épaule, puis elles miment un carré. Simplement, il voulait lui indiquer qu’il avait modifié les épaules pour qu’elle colle mieux à sa carrure et qu’elle fasse moins carré. Toujours dans son mutisme, il s'empare du manteau et le lui tend.

Peut-être que c’était naïf de sa part de penser qu’elle avait compris son mimétisme, mais il se contenta de ça pour répondre à son interrogation. Plongé dans son travail, ses sourcils se froncent légèrement dans l’attente de l’enfilage. Techniquement parlant, il avait fini mais il voulait s’assurer une dernière fois que tout était bon pour elle.

Son interrogation démontre son incompréhension face à son mimétisme. Pourtant, Yashiro n’en dit rien et se contente de rester professionnel. Il l’observe mettre le manteau, soigneusement, ses yeux ne veulent rien rater. De temps en temps, il s’approche un peu pour vérifier encore une fois que tout est bon, que rien ne fait défaut et surtout, que la pièce lui convient parfaitement. Comme pour faire taire ses doutes, la voix de sa cliente le ramène à la raison en lui confirmant que le manteau est plus confortable. Alors, il recule de quelques pas, hoche la tête et c’est à ce moment-là que son travail est terminé. Enfin, c’est ce qu’il pense naïvement. Son interlocutrice l’interroge sur la manière d’entretenir son nouveau bien, question délicate quand on sait que ce n’est pas un matériau très utilisé. Mais Yashiro n’est pas un mauvais élève, il a travaillé la question et c’est avec fierté qu’il ressort son téléphone pour y taper la réponse.

“Je préconise un lavage à la main dans de l’eau tiède avec du savon doux et surtout, pas d’adoucissant.”

De nombreuses recherches ont dû être menées pour apporter cette réponse. Croisé les différentes réponses, voir les propriétés des composants et surtout, savoir comment sont entretenus les différents textiles en général. Et pendant qu’il se complaît de sa réponse, sa cliente soulève un nouveau point qui le surprend. Interloqué, Shiro penche légèrement sa tête sur le côté et efface son précédent message pour le remplacer par son interrogation.

“Une demande supplémentaire ? Je vous écoute.”

Le Japonais doit bien avouer qu’il ne s’attendait pas à une nouvelle demande directement après la précédente surtout au vu de ses prix. C’est au moins la preuve que toutes ses années de travail sont payantes.

Dans l’attente de sa réponse, Yashiro s’en vient à demander ce qu’elle lui demanderait en plus : un vêtement ? Un accessoire ? Un autre manteau pour en avoir un deuxième pendant que l’autre est au lavage ? Beaucoup de possibilités, mais la réalité était loin de ses interrogations. A l'annonce du terme “ami”, le Japonais fut étonné. Non pas qu’il n’était pas possible de porter des tenues identiques, le plus souvent, les couples optent pour un style vestimentaire qui s’apparente mais pas qui se ressemble. Pourtant, il n’était pas au bout de ses surprises. Sa cliente lui proposa de lui montrer son “ami” pour lui permettre de prendre les mesures directement. Sorti tout droit de son sac, une peluche à la forme d’éléphant venait de faire son apparition. Haussant un sourcil, et sans même écouter la suite de ses propos, Yashiro comprit que la demande n’était pas pour un “ami” mais pour cette peluche.
Plongé dans son mutisme habituel, le Japonais ne savait pas comment réagir face à cette demande incongrue. Jusqu’ici, il a toujours réalisé des vêtements de différentes tailles mais pour des êtres humains. Il lui fallut quelques minutes de réflexion avant de sortir son mètre mesureur de sa poche. Doucement, il s’approche de sa cliente et commence à prendre les mesures essentielles de la peluche. Sans un mot, il note chaque indication dans son carnet et réalise même un croquis de la peluche pour pouvoir se souvenir de sa forme. Une fois les formalités terminées, il se saisit de son téléphone pour y taper son message.

“C’est la première fois que je réalise une telle demande, il me faudra deux/trois jours pour la terminer.”

Il marque un temps de pause pour lui permettre de lire le message puis il enchaîne.

“Pas besoin de me payer, c’est un cadeau de ma part.”

A la suite de ce message, il sourit.

Quand deux étrangers se rencontrent pour la première fois, il est assez rare pour eux de voir les qualités et les défauts de l'autre. C’est pour cette raison que Yashiro n’eut pas plus de réaction au sourire de sa cliente, pour lui, c’était juste un sourire pour indiquer qu’elle était heureuse de son acceptance. Un détail comme un autre, sourire, c’est naturel. Compréhensive face au délai imposé par le designer, il ne pouvait que s’en réjouir. Il arrive parfois que certains commanditaires n’apprécient pas les longues attentes et le Japonais se retrouve à devoir se justifier, à ne pas dormir et à ronger sa santé pour ce genre de cas. Rien que d’y repenser, l’envie de soupirer le prenait, mais il se retint par politesse. Et pendant que la jeune dame s’étonnait de son choix d’en faire un cadeau, son téléphone se mit à vibrer dans sa main. Quelque peu étonné, Yashiro s’empressa de regarder l’écran illuminé.
Après quelques longues minutes de silence et de lecture, le designer se mit à froncer les sourcils et ne parvint pas à retenir son soupir. La situation n’était pas si désespérante que cela, mais son repos fut court ces derniers temps. Il chassa d’un mouvement de doigt tous ses ennuies pour s’empresser de taper à nouveau sur l’écran.

“Vous allez devoir m’excuser mais le travail m'appel à nouveau. Ne vous inquiétez pas, je n’oublie pas votre commande pour votre cher ami. Je vous contacterai quand je l’aurais terminé, vous pourrez revenir ici même pour la récupérer et voir que tout aille bien.”

Certainement par courtoisie, Shiro se força à sourire pour paraître aimable mais à ce moment précis, il n’avait qu’une envie : ronchonner à cause du travail supplémentaire.