Au JV actuel — Ft. @"Jill Alvaro"
Deux heures que l’autre se pomponnait dans la salle de bain, à s’appliquer son affreux fard blanc pour ressembler à une geisha croisée avec… avec une femme à qui on a oublié de dire que se déguiser en squelette d’halloween, c’est rigolo et socialement acceptable jusqu’à 12 ans. Et QUE pendant halloween. Je n’ai rien contre les mexicains, mais là, je manque de faire une crise cardiaque à chaque fois que je la croise. Essayant de me concentrer sur les sous-titres de ma série, je ne prête pas attention à ses allées et venues, même si je sais pertinemment qu’elle va me tomber dessus. Tout simplement parce qu’elle est jalouse de moi.
A croire que les mexicains ne s’arrangent pas, avec le temps.
Complètement absorbée par les faits qui semblent se dérouler comme dans la légende grecque, je ne la salue pas - peut-être volontairement, en fait - et ne réagit pas tout de suite lorsqu’elle m’alpague, lui faisant signe de se taire le temps que l’épisode se lance, sans même lui adresser un regard, et en m’étirant le cou pour ne rater aucun morceau - en même temps je ne comprends pas grand-chose à l’anglais. Il ne reste que quelques minutes, rien de bien méchant.
Le générique se lançant, je tourne la tête vers ma colocataire. Ce que je vois d’abord, c’est une énorme robe rouge, le genre de tenue qu’on trouve uniquement dans un gala de fausse charité pour vieux décrépis. Ensuite, je constate que la lumière est complètement absorbée par la présence, sur le crâne brun de la mexicaine, d’un large chapeau. Un chapeau ? Mes sourcils se rejoignent en une moue d’incompréhension. Qu’est-ce qu’elle fout avec un chapeau à l’intérieur de l’appart, et pour le petit déjeuner ? Levant les yeux au ciel, je ne manque pas de ricaner.
— Toujours aussi bien sapée, à ce que je vois, je crois bien que ton goût vestimentaire n’a d’égal que ton amabilité.
Oui, je la tutoie. Non mais, elle se prend pour qui, après 50 ans de colocation, à m’appeler « madame » et à me vouvoyer ? Parfois, je me dis qu’elle doit passer ses soirées devant de vieux films hispanophones à ressasser le passé. Je ne sais pas qui elle était et je m’en contrefous, qu’elle veuille faire sa grande dame, qu’elle fasse, mais très peu pour moi.
Après une légère pause, de quoi avaler ma dernière gorgée de raclure d’immondice, je lui adresse un grand sourire, doublé d’un regard plein d’une pitié où pointe une touche de moquerie.
— Oui, j’ai cuisiné, non, je ne nettoierai pas. C’est déjà propre, je n’ai rien laissé. Maintenant si l’odeur t’importune, Jill, tu peux aller ailleurs ou éventer l’air avec l’un de tes éventails. Tu dois bien avoir ça, non, sous tes jupons ?
Lançant la suite de mes épisodes, je pose mon mug sans refermer le couvercle, par pure provocation. Je ne bougerai pas de là, hors de question. Qu’elle fasse la conchita perfectionniste si c’est là son plus grand désir, mais elle ne m’aura pas à ce petit jeu.
— Cette activité stupide est une activité comme une autre, qui plus est culturelle, de vulgarisation. Elle touche ma culture natale, tu ne vas quand même pas te mettre à faire ta dictatrice argentine dès le matin, si ?
La dardant d’un nouveau regard provocateur, j’ajoute avec un sourire :
— Je te ferais remarquer aussi que d’entre toi et moi, je suis celle avec le plus d’activités ludiques, j’ai un emploi, moi. Tu sais, Jill, il faudrait que tu redescendes sur terre, parfois, conseil de colocataire, parce que tu es vraiment lourde.
Une franchise assurément diplomatique me fait parler. Elle n’a que trop mérité mes paroles acerbes, celle-là. Bien sûr, je sais qu’elle n’éprouve que de la jalousie par rapport à moi, mais tout de même, jouer les mamans despotiques dès le matin, sous prétexte que c’est une vieille peau, ça va bien deux minutes.
Je m’enfonce confortablement dans le canapé, savourant ma supériorité certaine, une moue amusée sur mon visage violet.