Teodora était de celles qui évitaient soigneusement de trop se plonger dans une introspection dont elles savaient qu'elles ne ressortiraient ni indemnes ni plus avancées. Elle était de celles qui savaient précisément où se trouvaient les problèmes et les non dits mais qui les repoussaient soigneusement sous le tapis en faisant comme si elles n'avaient rien vu. Elle était de celles là, Teodora, celles qui ne se supportent pas mais ont du mal à composer avec les autres, de celles qui se cachent et ne se taisent jamais, de celles qui détournent constamment l'attention sur un point de leur personnalité, emmerdant au possible, pour ne pas qu'on puisse trop farfouiller dans les coins sombres de leur psyché. Elle voulait volontiers aider Shirley, elle en était heureuse et un peu fière sur les bords, mais de là à s'ouvrir totalement à la canadienne, ça restait un point difficile, elle se contentait de sourire éternellement, haussant les épaules face à la remarque de la jeune femme lui démontrant ses qualités, comme si ça ne la concernait pas, comme si elle ne se concernait pas elle même. En vérité Teodora préférait sûrement se traiter de la sorte avant qu'on le fasse pour elle, elle préférait partir en se dégradant plutôt que de laisser les autres le faire et la surprendre, la blessant un peu plus au passage. Son sourire en coin parfaitement en place elle lui adressa un clin d’œil en avisant les chaussures nouvellement aux pieds de Shirley.
« J'ai surtout beaucoup de défauts ! »
Un rire cristallin s'élève, s'échappe et s'enfuit de ses lèvres qui se maquillent. Ce n'était pas un mensonge, elle le pensait réellement, elle savait qu'elle accumulait les défauts comme une ménagère les points sur les cartes de fidélité, elle refusait juste de trop reconnaître ses qualités, elle se savait ni gentille, ni généreuse ni altruiste. Elle était belle, à la rigueur, et c'était tout ce qu'on lui demandait, d'être belle, alors elle s'en contentait en remplaçant le vide par du cynisme et de l'humour parfois un peu trop décalé. Elle était étonnée d'entendre la canadienne lui parler de ses cheveux, les gens semblaient aimer ses cheveux, longs fils fins de soie aussi noirs qu'une nuit sans lune et sans étoiles, elle ne comprenait pas trop, quitte à choisir elle aurait préféré au moins avoir plus de volume, de belles boucles ou des ondulations, mais le côté japonais avait prit le dessus et les laissaient aussi raides que des baguettes. Elle avait machinalement passé la main dans le flot d'encre capillaire derrière son oreille en continuant de lui sourire.
« Merci beaucoup Shirley, je sais déjà que ton caractère est bien loin d'être aussi plat que tu l'affirmes ! »
Elle aurait pu lui rappeler de s'aimer elle même mais ça aurait sonné un peu trop hypocrite, même pour elle. Teodora tournait dans les rayons, en profitant pour saisir une paire d'escarpins bleu nuit pour elle même, s'asseyant à côté de Shirley, les essayant prestement., posant un de ses pieds à côté de celui de la canadienne.
« J'aime beaucoup les tiens et on fait la paire comme ça ! »
Elle continuait à rire doucement, d'un son de gorge légèrement rauque alors qu'elle se dirigeait vers les caisses avec leurs deux boîtes, ne lui laissant pas le choix avant de payer pour elles deux, repartant avec les sacs.
« C'est pour marquer ton premier pas vers le nouveau toi. » Elle l'observait, l'avait observée déjà avant et son sourire en coin s'élargit, les yeux malicieux et inquisiteurs. « Enfin peut-être vers l'ancien toi ? Tu as eu l'air à l'aise sur des talons, honnêtement je ne l'aurai pas parié ».
Toujours aucun tact, c'était aussi inévitable qu'irréparable, même en lui expliquant pendant des heures le principe de délicatesse Teodora serait restée un éléphant dans un magasin de porcelaine, elle ne comprenait pas pourquoi il fallait à tout prix détourner ce que l'on pensait, elle l'entraînait déjà plus avant dans la galerie marchande, la laissant tout de même décider de la prochaine étape, inciter et ne pas forcer, toujours.