[FB 1986] You're as beautiful as the day I lost you | ft. Basile Gray

Depuis qu’ils étaient rentrés des Etats-Unis, leur groupe avait enregistré deux disques. En CD, adieu les vinyles… Ce qui chagrinait quelque peu Basile qui affectionnait particulièrement les 33 tours depuis… et bien depuis qu’ils tenaient dans sa main. C’est dans une boutique de prêt de vinyles qu’il avait rencontré Sacha, aussi, alors il sentait un lien particulier avec eux, et avait essayé de forcer auprès de la tête directrice du groupe pour faire sortir leurs morceaux aussi sur les platines.
Refusé.

Il n’avait pas insisté, comprenant bien que le monde évoluait et qu’ils n’étaient pas pleins aux as. Et puis de toute façon, Sacha n’avait pas de boutique de vinyles à Tokyo, et c’était tant mieux.
Tant mieux, parce que cela voulait dire qu’il vivait toujours. Qu’il refaisait sa vie avec quelqu’un, peut-être ; comme l’avait fait Basile aux Etats-Unis. D’ailleurs il attendait avec un impatience retenue la prochaine fois qu’il lui rendrait visite. Probablement pas avant quelques années, mais leurs conversations au téléphone étaient suffisantes pour le faire patienter.

« Basile, t’es pas concentré !
- Si si je vous écoute, je suis d’accord, c’est radicalement mieux ! »

Surtout les parties où les musiciens devaient chanter avec le chanteur principal… Troisième disque mais pas forcément les meilleurs chanteurs de leur génération, hm ?
Jouant à tourner sur sa chaise de bureau dans la petite boite à sardine qui était la partie mix et régie du studio, coincé entre les quatre autres membres du groupe et l’employé d”enregistrement, Basile s’ennuyait, rêvant de retourner de l’autre côté de la vitre pour jouer le morceau suivant. Au lieu de ça ils étaient bloqués depuis trente-cinq minutes sur the tube of the year qui n’avait pas exactement les bonnes sonorités parfois ; ce qui demandait l’attention du chanteur du groupe et de l’employé seulement, laissant les autres instrumentistes se tourner les pouces ou feuilleter les magasines sur la table basse derrière eux. Basile avait ordre de ne toucher à rien et avait l’impression d’être de retour en salle de classe au lycée, à attendre que les minutes passent en fixant l’horloge au mur.
En même temps si les autres avaient pu s’assurer que Basile ne casse rien autrement qu’en lui ordonnait de rester tranquille (menaces à l’appui) ils auraient probablement choisi l’autre option. Malheureusement, Basile n’était pas si à l’aise avec son corps, et encore moins depuis qu’il avait perdu dix kilos… Qu’il aimerait d’ailleurs beaucoup récupérer.

Il laissa le siège tourner jusqu’à ne plus avoir d’énergie cinétique, ce qui lui fit tourner la tête aussi, mais c’était absolument la seule chose qu’il pouvait faire pour se distraire. Il restait donc à fixer le mur du fond de la pièce, observant les affiches de film proposés il y a à peu près dix ans dans le monde des vivants… à peu près quand il était mort en réalité. L’envie le prit de faire une remarque sur l’un d’eux qu’il avait en effet vu avec Sacha en 79, mais le silence était requis, alors il se contenta d’une “chut Basile on a besoin de se concentrer” caricatural et puéril qui ressemblait en réalité plus à “gngngn Bagngng concgngngeeeer.” marmonné dans sa barbe.

Et puis le bassiste, avec qui il avait lié une relation plus profonde qu’avec les autres, se pencha vers lui en pointant l’un des acteurs de l’affiche que le batteur observait avec attention en chuchotant une stupidité à son oreille. Le sens de ses mots s’envola rapidement de la mémoire de Basile après que le bruit caractéristique de la porte du studio s’ouvrant attire l’attention et le silence respectueux -ou outré- de l’ensemble de la salle. Basile rit encore un peu à la remarque de son camarade, se figeant uniquement lorsque son prénom retentit.

« B-Basile. E-est-ce que Basile e-est là ? »

Une voix qu’il entend parfois, en rêve. Qu’il se remémore aussi lorsqu’il fait quelque chose de stupide, bien que ce reflexe s’efface doucement de sa mémoire. Son coeur accélère une seconde, empli d’espoirs, mais il ne fait pas tourner son siège, attend de se persuader lui-même que ce n’est qu’une illusion de son esprit pour faciliter la constatation que Sacha n’est pas ici, pas avec lui.

Les autres regardent tous le nouvel arrivant un instant, puis se tournent enfin vers leur batteur qui joue des pieds pour se retrouver face à l’inconnu.
Cet inconnu qui se tient là, dans un jeans large et un t-shirt. Un inconnu qui le regarde de ces yeux sombres et pourtant laissant toujours transparaître ses émotions. Au moins pour Basile. Comme s’il avait été conçu pour le comprendre, et pouvoir le serrer dans ses bras lorsqu’il en avait besoin. Depuis toujours, ils avaient été faits pour être ensemble, n’est-ce pas ?

Le batteur est debout, sans s’en être rendu compte. Il avance doucement vers celui qu’il a attendu, puis cessé d’attendre. Vers celui qu’il a aimé et pour qui il s’est battu, jusqu’à la mort. Il avance, lentement, comme on avance vers un chat sauvage de peur qu’il s’enfuie.

« S-Sacha ? » Sa voix rauque craque lorsqu’il prononce ce prénom qu’il n’avait pas encore évoqué depuis qu’ils se sont quittés. Celui à qui il a tant écrit. Celui qu’il ne s’attendait pas à revoir avant des dizaines d’années, et qui le rejoint si tôt… « C’est toi ? » Ou bien c’est une illusion, un mirage. Quelqu’un qui lui ressemble beaucoup ? C’est impossible, comment- pourquoi est-il ici ? Comment l’a-t-il retrouvé ? Pourquoi n’est-il pas à New-York ?
Tant de questions qui froncent ses sourcils et compliquent sa respiration déjà laborieuse. Sa main se dirige d’elle-même vers la joue de celui pour qui son cœur battait si vite depuis son adolescence, celui pour qui il a envie de pleurer aujourd’hui.

C’est la honte qui l’envahit soudain, alors que leurs peaux se touchent enfin. Il caresse de son pouce la joue de son amant, celui qu’il souffre de vouloir prendre dans ses bras. La honte, parce qu’il est défiguré. Parce que ce soir-là, il l’a quitté. Il est parti, l’a laissé sur place sans explication. Il a fait demi-tour pour sauver des hommes qu’il ne connaissait pas, alors qu’il aurait pu vivre encore avec celui qu’il aimait. Pourtant il a foncé sans réfléchir, il a fait ce qu’il savait faire de mieux : défendre les autres. Mais qui donc avait défendu Sacha après la mort de Basile ? Personne. Il aurait dû être moins égoïste et penser à Sacha avant de vouloir se comporter en héros.

Sa main fait gentiment tourner la tête de Sacha vers la gauche et Basile se penche pour vérifier. Vérifier que c’est bien lui. La petite couronne derrière son oreille l’en assure et c’est comme si tout le poids du monde lui tombait sur les épaules. Ou bien s’en dégageait, il n’aurait su dire. Il aurait pu tomber à genoux si le regard brun de son amant ne l’avait pas soutenu comme il faisait. « Q-Qu’est-ce que tu fais là ? »

Le monde autour d’eux n’a pas de sens, n’a pas même de réelle existence alors qu’ils sont ensemble, après avoir attendu une éternité. Une éternité trop courte… bien trop courte… « Que t’est-il arrivé… » C’est un peu de chagrin qui perce dans sa voix alors qu’il est incapable de quitter des yeux cet homme qui lui a terriblement manqué. Celui sans qui il n’est en réalité que le fantôme de lui-même.
Sacha…

Sacha ne répond pas. Il ne répond pas et son silence laisse place à des hypothèses que Basile aurait préféré ne pas envisager. Il se contente de l’observer et, sans comprendre qu’ils ont changé de pièce, se perd doucement dans sa voix, dans la contemplation de son visage. Le sien se contracte en grimaces comme portails fermés à cette détresse que lui a fait subir son absence pendant ces années. Il le regarde et sa main vient trouver sa place sur sa taille comme ce fut autrefois une évidence.

La sensation de chaleur sous ses doigts, cet amour inconditionnel qu’il ressent pour Sacha, la tristesse infinie qui emplit ses yeux à la pensée de sa mort… Il avait peur de ne jamais les ressentir en le voyant. Il avait peur que la mort lui ait pris son amour pour lui. Ses yeux verts se baissent vers ses pieds alors que Sacha l’enlace, le tirant de ses réflexions qui l’auraient probablement fait pleurer, sans qu’il ne connaisse précisément la raison de ses larmes. Le sentir contre lui l’apaise tendrement, et alors qu’il ferme les yeux, c’est comme si rien n’avait changé. Comme si le monde était le même, comme s’ils ne s’étaient jamais quittés. Son odeur est identique, ses bras tout aussi chaleureux, et il se sent bien. Terriblement bien. Comme s’il était à nouveau complet.
Plus rien ne lui manque.

Il lui faut quelques secondes d’étreinte avant d’enfin la lui rendre, de le serrer contre lui comme s’il voulait ne faire plus qu’un avec lui et ne plus jamais en être séparé. Il aurait voulu lui dire combien il avait été seul sans lui. Combien de temps il l’avait attendu. Il voulait lui dire que sa mort n’avait de sens que parce qu’il savait que Sacha viendrait le rejoindre. Mais sa gorge est nouée et le moindre son refuse d’en sortir. Alors il se contente de le serrer contre lui, d’inspirer dans son cou ce bonheur qu’il ne supportait pas d’avoir perdu.

« Ça fait si longtemps que je rêvais de te prendre dans mes bras. » Un murmure contre son torse, une vibration qui autorise enfin ses membres à trembler à leur tour de ce soulagement de le savoir près de lui.

Le batteur ne comprend que tard que Sacha pleure. Et quand il s’en rend compte, ils ne font que déclencher ses propres larmes. Des larmes silencieuses qu’il ne saisit pas. Son coeur est rempli d’un bonheur qu’il ne comprend qu’à peine, et pourtant ses yeux coulent comme s’ils voulaient ressembler un peu plus à ceux de son amant. Comme s’il était trop plein d’émotions et qu’enfin elles se libéraient toutes.
Comme s’il avait été prisonnier de son propre corps depuis qu’il avait atterri ici, et que Sacha le libérait.

« Je suis désolé… » Désolé, mais s’il avait été de nouveau confronté à ce dilemme, il n’avait aucune idée de ce qu’il choisirait de faire. Désolé de n’avoir rien dit, désolé de l’avoir laissé seul. Désolé de n’avoir pas su se défendre contre son agresseur, surtout. Désolé d’avoir cru qu’il pourrait régler la situation par lui-même. Désolé d’être heureux qu’il soit mort. Désolé d’avoir souhaité le revoir. « J’aurais pu faire tout différemment, j’aurais dû faire attention… »

Mais Sacha ne l’écoutait pas, Sacha était heureux de le voir, et Basile souriait, comme s’il avait débloqué une nouvelle capacité. Comme si Sacha était ce qu’il lui manquait depuis tout ce temps… Mais c’est le cas. Le souvenir de Sacha était ce trou béant dans son coeur qu’il avait couvert d’un drap et ignoré pendant 7 ans. Maintenant, chaque seconde passée avec lui remplissait un peu plus ce gouffre qui n’avait fait que grandir sous le tissu, et Basile se rendit enfin compte de sa profondeur, alors que la caresse de son amant passait sur sa mâchoire fêlée et bleuie.

Il ferme les yeux, glisse sa propre main contre celle de Sacha pour la tenir en place le temps qu’il dépose un baiser en son creux. « Je t’ai enfin retrouvé. »

Ses larmes sont en suspens alors qu’un sourire étire ses lèvres meurtries. Peu importe la mort, peu importe la vie… Sacha est avec lui, et s’il ne veut pas parler de ce qui l’a conduit ici, alors qu’il en soit ainsi. « J-Je ne pensais pas te voir si tôt… » Mais son sourire ne vacille pas. C’est comme une bonne surprise. Refusant de voir la peine dans les yeux de Sacha lorsqu’il pose ses yeux sur son visage, il enchaine, caressant avec douceur le poignet de celui qui fait rire ses yeux encore humides. « Tu es plus vieux… dit-il, un rire dans la voix, en passant un pouce contre une petite ride presque invisible au coin de l’oeil de son amant. Ca te va bien, la vieillesse… »

Et comme si cette phrase était un détonateur, il faut quelques secondes avant qu’elle ne déclenche un rire incontrôlable chez Basile. Un rire de bonheur comme il n’en avait pas encore connu depuis sa mort. Un bonheur qu’il avait espéré mériter. Un bonheur qui lui confirme que le paradis existe finalement bel et bien, qu’il suffit de savoir l’attendre, et de le voir ; d’accepter que parfois, le paradis n’est en réalité que les bras de celui qu’on aime.
Il l’avait dit parfois, blaguant sur la douceur de l’étreinte de Sacha. Mais cette vérité est tout autre aujourd’hui, et il espère la partager avec Sacha alors qu’il tombe un peu plus amoureux de lui à force que ses yeux se perdent dans la contemplation de ce regard un peu trop triste à son goût. « Tu m’as tellement manqué Sacha… »

« Toi aussi, tu m’as manqué. »

Il ne s’était jamais senti aussi coupable qu’à ce moment-là de sa vie. Il aurait voulu baisser les yeux, honteux de s’être comporté comme un idiot lors des derniers instants de sa vie. Il aurait voulu pouvoir, mais Sacha le forçait gentiment à garder le visage relevé. Sacha le forçait vers lui, vers un baiser qui faisait battre son cœur plus vite qu’il l’aurait cru ; d’anticipation, d’amour… d’appréhension ? Oui, d’une appréhension coupable, de nouveau. Parce qu’il avait offert un bout de son cœur et de son corps à un autre homme ces dernières années. Parce qu’il était toujours aussi fou amoureux de Sacha et qu’il avait peur de le décevoir, de ne plus être celui qui lui convenait et de le rendre plus malheureux qu’heureux dans cette vie éternelle qui comptait finalement plus que la précédente.

Et finalement ils s’embrassent. Finalement leurs lèvres s’enlacent et toutes ses erreurs s’effacent. Rien d’autre ne compte que Sacha et le bonheur qui l’emplit de pouvoir encore le serrer dans ses bras, de le sentir contre son cœur et de voir qu’il n’a rien vécu de semblable à ce qui a causé sa propre mort. Il s’est battu trop longtemps pour que l’amour de sa vie finisse dans le même état que lui. Un baiser fragile, autant que cette vie qu’ils ont tous les deux perdue. Mais était-elle réellement fragile ? Ou sa fragilité n’est-elle qu’une façade, qui se révèle en réalité bien plus solide qu’on le croit ? Après tout, ils s’étaient bien retrouvés, même après la mort… Basile n’ose pas, se retient de libérer l’expression de ce qu’il ressent pour Sacha. Ils viennent tout juste de se retrouver et… et ils ont beaucoup de choses à rattraper. Autant ne sauter aucune étape et repartir ensemble, main dans la main.

Alors Sacha le relâcha et c’était comme si on coupait sa bouteille d’oxygène. Il se retrouvait démuni, perdu face à son absence. Il ouvrit les yeux et son cœur s'apaisa. Il était là, n’avait pas disparu. Tout cela n’avait pas été qu’un rêve, il était toujours face à lui. Le compliment lui tira un souffle nasal ironique et il détourna les yeux sur le côté, comme cherchant à cacher l’évidence du mensonge de ses mots, qui lui firent malgré tout plaisir. Il ne remarqua pas la tristesse dans les yeux du réparateur, et c’est probablement mieux comme ça. Le batteur voulait éviter le sujet pour l’instant, les images de sa mort restant encore trop brûlantes dans sa mémoire. Son acte héroïque, oui pourquoi pas, mais pas les conditions exactes dans lesquelles il avait- fini. Et si Sacha semblait triste maintenant… Basile en s’en rendant compte n’aurait probablement jamais osé retirer ses vêtements devant lui. Alors finalement, heureusement qu’il ne le regardait pas. Quant à celle de sa voix, il l’associe plutôt au regret de s’être perdus, et non… à son état physique actuel. un regret qu’il ressent aussi et qu’il n’arrive pas à étancher malgré toutes ses tentatives de distraction depuis ces années à marcher d’une errance éternelle. Mais elle gagnera en sens, maintenant que Sacha a rejoint ses côtés, n’est-ce pas ?

Ignorant donc la tristesse de Sacha pour le moment, un joli rose pale naquit sur le teint blanc sali par la mort de Basile. Ses pommettes reprirent vie et il trouva lentement les yeux de celui qui avait autrefois enjoué son quotidien.

« Je… » Son petit rire nerveux lui tire un sourire sincère. « Je ne sais même pas par où commencer. Je suis si heureux de te revoir. » Il hoche la tête. Que pourrait-il faire d’autre, quand il a l’impression que Sacha, de toute façon finira par tout lire en lui sans qu’ils aient besoin de parler ? Alors il se contente de le contempler, lui qui n’a réellement pas changé. A part cette petite ride au coin du regard qui l’assagit tristement. Qu’a-t-il donc bien vécu pendant ces quelques années sans Basile ? Le musicien voudrait savoir, n’a pas le droit de reposer la question. Sacha lui parlera quand il en aura envie. Quand il se sentira prêt.

« Tu étais avec ton groupe, c’est ça ? » un petit “mhm” distrait lui répond. C’était assez évident et Sacha avait probablement simplement besoin d’une introduction pour la suite de ce qu’il voulait dire, alors Basile le laissa parler sans intervenir, ce petit sourire toujours présent sur son visage bien qu’il ne sache pas le moins du monde comment se comporter avec lui. « Et il paraît que vous avez fait une tournée aux États-Unis ? C’est fou ce que tu as fait, tout ce temps.
- Oh, oui… commence-t-il en baissant les yeux, regrettant un peu de ne pas avoir attendu Sacha pour vivre ses premiers concerts avec lui. Peut-être que pour cette raison, il lui fera lire son carnet ? En fait on a commencé au USA, parce que c’était plus facile de partir de là-bas, notre style était dans le genre du moment là-bas, moins à Tokyo. Alors on y est partis pour prendre en importance… »

“et puis j’ai rencontré un homme qui te ressemble… beaucoup, en fait.” Vraiment beaucoup. Avec une histoire d’amour dramatique dont il venait à peine de sortir, assez timide et réservé et pourtant si curieux des autres. Un autre jeune homme en besoin d’une infirimière que Basile a été avec grand plaisir et qu’il n’a plus besoin d’être aujourd’hui. Pourtant Basile est amoureux, et honteux de l’être face à Sacha. Alors il baisse les yeux. Ce n’est qu’une nouvelle difficulté à laquelle il fera face une fois que la perplexité de l’arrivée de Sacha sera dissipée.

« C’est dommage, j’ai pas pu assister à un de vos concerts. » Basile relève ses yeux étonnés vers Sacha.
« Mais tu peux toujours ! Là, on enregistre un album, et ensuite on fera quelques concerts à Tokyo… Et puis je pense que tu pourras assister à quelques enregistrements ou répétitions si tu veux ? E-Enfin si tu veux… » la fierté qu’avait montrée Sacha plus tôt lui avait fait chaud au cœur, mais cette phrase lui faisait peur.

Il recula d’un pas comme pour se redonner une contenance et éclaircir ses idées que Sacha embrouillait toujours lorsqu’ils étaient trop proches. Leurs mains restaient enlacées et Basile ne pouvait s’empêcher de caresser délicatement la peau douce de son amant de petits cercles des pouces. « Est-ce que tu veux aller boire un café ? Je veux passer du temps avec toi, et puis… eux-là, ils ont plus besoin de moi. Je les gêne probablement plus qu’autre chose, ils me demandent jamais mon avis, même sur les chansons que j’ai composées… levant les yeux au ciel pour dédramatiser cette situation qui lui pesait tout de même un peu mais pour laquelle il ne voulait pas être embarrassant, il enchaîna rapidement. Et puis tu es bien plus important qu’eux. » Sa tirade se finit par un nouveau doux baiser qu’il déposa sur ses lèvres, dérivant sur une enlaçade qu’il ne pouvait contrôler. Ce besoin d’être près de lui, plus proche que simplement face à face. Il veut le toucher, le sentir vivant, réel entre ses bras, et pas simplement comme un songe qu’il n’appréhendait que lorsqu’il réussissait enfin à dormir la nuit. « Il y a tellement de choses que je veux te raconter, mais… Pas ici. » Il lança un dernier regard vers la porte avant de sourire à Sacha.

« Alors je vais leur dire que je m’en vais, et j’arrive ! Tu peux m’attendre dehors. Il glissa un autre bisou au coin des lèvres de Sacha comme il le faisait si souvent, non chalament et peut-être un peu trop brusquement qu’il le faudrait - cette fichue maladresse… [/color] A tout de suite je t’aime ![/color] ajouta-t-il très vite en le dépassant pour disparaître de l’autre côté de cette porte insonorisée. »

Basile entra dans la salle puant la transpiration d’un groupe de rock en ébullition, pour prévenir tout le monde que la séance s’arrêtait là pour lui, qu’il avait retrouvé quelqu’un d’important pour lui et qu’ils n’avaient pas leur mot à dire. Il reçut quelques regards excédés, un regard las et un hochement de tête encourageant du bassiste qui lui lancait aussi sa veste avec un clin d’oeil auquel il répondit d’un sourire reconnaissant.
Il se hâta ensuite de rejoindre son amour, et n’osant pas se tenir trop près de lui par habitude, c’est Sacha qui le ramena à lui en mêlant leurs doigts. Et cette aisance qu’il avait connue avec un autre en rêvant de lui devenait aujourd’hui réalité. L’étonnement dans ses yeux n’effraya pas l’autre homme et il eut tout le temps de savourer le naturel d’une telle gestuelle. Il caressa alors tendrement la peau sous son pouce, déposant enfin un petit bisou sur la tempe de son amoureux.

« Je suis si heureux de te voir… prononça-t-il, sa bouche toujours contre ses petits cheveux sombres. Si heureux que tu sois avec moi… » Ils avançaient, sortant enfin dans la rue et sous les regards des passant qui ne faisaient même pas attention à eux. Ils étaient normaux. Ne faisaient rien d’illégal. Leurs personnes étaient acceptées et il n’y avait aucun discours haineux sur leur sexualité, pas un seul regard de travers alors que Sacha le collait à lui, glissant distraitement une main entre son t-shirt et sa veste. Peut-être n’avait-il pas fait attention, avait franchi la première barrière sans s’en rendre compte. Sa veste était large, il était habituel qu’elle ne colle pas parfaitement à son corps maintenant bien plus maigre.

Ce bras autour de sa taille le surprend, mais il finit par poser sa main sur le bras de celui qu’il retrouve, celui qui fait battre son cœur plus fort sous ces côtes cassées que Sacha ne semble pas avoir remarquées. Ou peut-être que si ? Basile ne sait pas, préfère qu’il ne remarque que le plus tard possible. Et d’ailleurs pourquoi se préoccupait-il d’une telle futilité dont il n’avait qu’à peine fait cas depuis 1979 ? Il n’avait eu aucun scrupule à se dénuder devant d’autres ; pourquoi se sentait-il honteux alors d’avoir un corps déformé et amaigri devant Sacha ? Et pas devant cet autre qui avait percé la carapace molle de son coeur quelques temps plus tôt ? Cela avait-il un rapport avec leur vie commune ? Peut-être. Mais Basile savait qu’il se prenait la tête avec des questions qui n’avaient pas lieu d’être pour le moment, alors il se força à se détendre par une grande inspiration, qu’il relâcha dans un petit rire embarrassé devant le comportement de Sacha, qui lui présentait sa chaise avec… courtoisie. « Oh, Merci, comte de Neal. lança-t-il alors, la voix pleine d’un respect surjoué et calqué à la royauté européenne des années du XVIIIème siècle. Je suis enchanté de voir que votre étiquette est intacte, malgré toutes ces années que nous avons passées l’un de l’autre huhuhu ! »

Il s’assoit finalement pour observer les traits si harmonieux d’un homme qu’il a eu peur d'oublier. Qu’il a essayé d’oublier ; pendant longtemps. Un homme qu’il est si heureux de revoir, même si au final quelque chose semble manquer. Quelque chose n’est pas comme avant. Peut-être est-ce la relation qu’il entretient avec cet autre aux USA ? Il n’en sait rien, préfère ne pas penser à tout ça, se concentre sur Sacha qui le regarde avant tant d’amour qu’il en est rouge de gêne.

« Oui, ça m’a fait bizarre aussi, en arrivant… commence-t-il en posant ses mains sur la table, proches de celles de Sacha. Mais on s’habitue. le regard qu’il relève vers le petit sourire de Sacha en fait naître un sur ses lèvres. Est-ce que c’est mieux, là-haut ? » Un petit sourire qui s’éteint bien rapidement. La question qu’il pose sert à dissimuler celle qu’il pense réellement. Celle qui voile ses yeux d’une inquiétude et d’une tristesse que peu comprendraient. Mais Sacha le peut. Sacha a assisté à sa mort, et sait à quel point il s’est battu pour que le monde accepte les différences de chacun.

Il détourne les yeux bien vite, regrettant presque d’avoir amené le sujet. Alors il s'adosse sur sa chaise, prend de la distance. « Pardon, j’aurais pas dû parler de ça. On se retrouve à peine et je te parle de trucs qui mettent pas de bonne humeur un petit rire désolé lui échappe et il enchaine, comme pour balayer sa question déplacée. Du coup tu es arrivé ici il y a longtemps ? » Finalement pas forcément une meilleure question à poser, mais Basile ne sait plus vraiment où se placer ni quoi dire. Il perd ses moyens devant Sacha, balbutie quelque chose dont même lui ignore le sens, se sent rougir à la vitesse grand V et regrette presque d’avoir ouvert la bouche en premier lieu. S’affallant sur sa chaise, il finit par marmonner un “Peu importe fais comme si j’avais rien dit ce sera mieux, tu veux parler de quoi ?” Comme au premier rendez-vous. Comme s’il était à son premier rendez-vous galant avec le premier béguin de sa vie… Ridicule, à son âge…

« Nerveux pour ton premier rencard ? »Ca le fait sourire, Basile, parce que ce n’est pas comme si c’était- Et bien si, en fait. Ils n’avaient jamais eu l’occasion de se faire des rendez-vous amoureux libres, en tant qu’amants dévoilés. Donc c’était bien leur premier rencard. La pensée fit chavirer son coeur une seconde mais il enchaîna bien trop vite pour pouvoir s’en préoccuper longtemps. Ils étaient ensemble et heureux et libres et rien ni personne ne pourrait les empêcher de l’être. La serveuse arrive, prend les commandes, ce qui laisse à Basile le temps d’observer celui qu’il a l’impression de n’avoir pas vu depuis une éternité. Peut-être que c’est le cas en réalité, peut-être que le temps ne passait pas de la même manière dans les deux mondes ? Pf quelle idée idiote. La serveuse lui posa deux fois la question avant qu’il n’y réponde, commandant finalement un café au lait au miel : seule manière qu’il avait d’avaler quelque chose d’aussi amer. Et puis elle s’en va, et la conversation reprend. Un échange par des regards, un sourire qui s’efface lentement du visage de Sacha. Alors celui de Basile, miroir de cet ange face à lui, disparait peu à peu, jusqu’à s’inverser en une déception fade qui lui tire une grimace qu’il ne peut cacher.

Carrément la merde. Alors il était mort pour rien. Alors tout ça n’avait été qu’une perte de temps pour eux. Un plongeon certain dans un deuil et une solitude sans nom pour Sacha. Un échec. Il n’avait jamais ressenti son passage dans l’au-delà comme ça, mais maintenant que Sacha lui explique… Comment pourrait-il le voir autrement ? Il retient un soupir, expirant avec douceur d’un souffle éternellement bruyant.

« Ca doit faire trois ans, je crois. Que je suis arrivé. Le temps de me faire à tout ça... tu vois ? Je voulais être stable avant de te retrouver. Continue Sacha, et Basile le remercie d’un petit sourire des efforts qu’il fournit pour éviter de les laisser plonger dans un abysse de regrets et de remords qu’il serait inutile et douloureux d’explorer aujourd’hui. D’explorer tout court. Donc j’ai réussi à avoir un appartement et un boulot. Mais maintenant je t’ai toi, et tout va bien mieux. »

Alors il avait tout repris. Trouvé une passion ou du moins un travail, et un logement. Alors que Basile se contentait largement de ce que lui proposait gratuitement l’agence pour pouvoir utiliser son argent ailleurs, en distractions qui l’empêchaient naturellement de penser à cet homme qu’il avait laissé derrière lui, et de cet autre qu’il pensait toujours vivant, et des conflits que cela provoquerait s’ils venaient à se rencontrer un jour.

Une vieille peur se débloqua alors chez Basile. Une peur qui l’avait caressé plus tôt et qui n’hésitait plus maintenant à l’embrasser, insufflant en lui son venin en assez grande quantité pour lui faire baisser les yeux, pour se sentir presque honteux et vouloir avoir rien qu’un jour le pouvoir de remonter le temps. Pas pour reprendre vie et changer le moment de sa mort, il sait que ce serait trop demander. Simplement pour s'empêcher lui-même de tomber amoureux de cet autre, de ne pas se retrouver face à un dilemme qui n’aurait jamais dû exister.

Sacha est ravi de le retrouver, l’unique morceau manquant de son puzzle ; Sacha ne pose pas de question sur le sien et sur les pièces qui le composent. Alors Basile reprend, refuse de lui laisser l’opportunité de le faire. « Et tu travailles dans quoi maintenant ? Tu as rouvert un disquaire ? » Sa voix se veut assurée, est en réalité teintée d’une urgence presque suspicieuse. « Maintenant tout le monde est passé au cd, adieu les vinyles… J’ai toujours ma platine et tous les albums de Queen ! Mon seul regret maintenant que je suis mort, c’est de ne pas pouvoir assister à leurs concerts !! Comment ils vont d’ailleurs ?? Ils sont toujours en vie ? » Informations crutiales à partager. Parce qu’à la seconde où Roger Taylor quittera le monde des vivants, Basile lui sautera dessus. Mais Sacha est au courant, il le lui a répété des millions de fois de leur vivant : “Si un jour je te trompe, ce sera avec Roger.” Mais c’est une blague de mauvais goût, vu la situation délicate dans laquelle est Basile, alors il arrête là son exclamation de fanboy #1 d’une icone de la musique pour laisser la serveuse poser leurs tasses sur la table.

« Tu peux pas savoir comme le monde était triste sans toi et sans Queen. Se trouver les albums a été une plaie sans nom. » Il secoue la tête, chassant du même mouvement les pensées parasites qui l’empêchaient de passer un bon moment. « Ca fait quelque temps que tu es là alors… New-York est si belle, on devrait aller la voir ! » Mais quelle idée. Pourquoi est-ce qu’il se retrouvait toujours à se persuader lui-même d’arrêter de penser à quelque chose pour qu’il disparaisse, puis proposer finalement de ramener l’objet du déni pile poil face à ses yeux ? Ridicule. « Enfin Tokyo c’est pas si mal non plus, hein….. Comment tu t’en sors avec le japonais ? » Être dans la tête de Basile, c’était comme regarder un match de foot et se prendre la tête entre les mains à chaque mauvaise action. Sauf que l’ensemble des joueurs sur le terrain, c’est un petit bout de vous. Bizarre hein ? Dépitant ? Oui, voilà l’état d’esprit de Basile en ce moment -et la plupart du temps en réalité.
Quel idiot…