Sus (FB) - [Céleste & Astard]

Encore une belle journée, encore une entourloupe fumante. Astard est incognito, sa masculinité voilée par une bague chimérisante, ses traits tordus pour ressembler à ceux d'un rat. Il aurait préféré ressembler à une loutre comme d'habitude, mais avait changé de fournisseur, et l'illusion restait franchement convainquante. Seulement voilà, un détail ne trompe jamais sur son identité réelle: l'accent.

Il était accoudé sur le comptoir comme d'habitude, à parler trop fort avec quiconque à le malheur de s'approcher trop près. Par chance, il est encore relativement sobre, de crainte de commettre une faute. Il entend quelqu'un s'installer à sa droite, se retourne derechef:

"Eh, salut toi, j'suis..."

J'suis le pirate que tu détestes. Il la reconnaît en une seconde seulement, peu importe combien elle est déguisée aussi. Et aucun doute: elle sait. Elle sait qu'il sait, et elle sait qu'il sait qu'elle sait. Sauf que le marin n'est pas stupide, enfin pas maintenant, il se souvient très bien qu'elle a toujours été vampire et rien d'autre. Comme quoi, les deux jouent aux mêmes jeux.

"Ah, j't'avais pas reconnue..."

Il grince des dents, mais préfère ne pas commencer à hurler pour ne pas attirer l'attention. Faut comprendre qu'un bar à chimère, c'est quand même un endroit particulièrement hostile.

"J'pensais pas te croiser ici."

Il tente de zieuter devant lui pour éviter son regard, se gratte nerveusement la barbe. 'Fin non, il en a plus, de barbe, il se tire juste douloureusement les moustaches en essayant.

"Ouais, ouais, mais ça date. Genre cent ans, t'sais?"

Hohoho, elle ne l'a pas reconnu, les affaires reprennent. Y'en avait quand même pas deux avec son accent immonde quasi-inintelligible, notre héros du subterfuge commence à le cacher doucement pour éviter que ça ne lui revienne pour de bon. À partir de là, tout est possible. Peut-être qu'il aurait du mentir mieux, par contre, il n'avait aucune idée de l'âge réel de la vampire, et aurait gagné à moins exagérer les dates.

Pour éviter de gaffer, il esquive la remarque de Céleste, embraye sur tout à fait autre chose. Fidèle à lui-même, dans un sens.

"T'es toujours à la boolice? On m'a dit que ça commence à être compliqué pour vous, de gérer toute c'te ville de timbrés."

Qu'on se le dise, Astard est un excellent conteur, mais franchement pas un bon acteur. Malgré le cadre plutôt coquet et cozy, il crache par terre comme s'il se trouvait dans une auberge de son époque miteuse, enchaîne:

"Toujours les hommes qui foutent la merde, t'façon."

Et il se pense malin, en plus. Il se croit VRAIMENT malin. À deux doigts de se dire renard de mer.

"Je n'ai pas besoin de gérer grand chose". Oh, il le note dans un coin de sa tête, ça. Sa Céleste préférée vient d'avouer à demi-mots ne rien faire de ses journées, ou plutôt c'est ce qu'il en comprend. Ça sera répété en temps et en heure, ça.

D'ailleurs, il est tellement malin que lui vient une idée brillantissime: enregistrer la conversation. Pour ça, rien de plus simple: il allume son téléphone (en cherchant le bouton d'alimentation quelques dizaines de secondes) et ouvre l'enregistreur audio, avant de le glisser dans sa poche. Un espion aurait pu lui dire que ce genre de maneuvre doit se faire discrètement, mais y'en avait pas la pièce.

"Allez, j'te paie un verre, pour la bonne époque."

Surtout, pour lui faire avouer des trucs embarassants. Même pas besoin d'attendre sa réponse, il commande pour elle. Deux whiskeys, pis si elle aimait pas ça en faisait plus pour lui de toute manière.

"D'ailleurs, j'me dit, j'me souviens plus de ton nom, en fait."

Ça reste cohérent avec l'excuse que les deux se soient pas croisées depuis cent ans, et franchement pas déconnant pour mettre quelqu'un en confiance. Échanger les prénoms, c'est la base de toute conversation saine. Mais bon, voilà, le Capitaine peut pas s'empêcher d'être trop farceur pour son propre bien.

"Moi c'est Célestine."

Non mais si il fait pas d'efforts moi je raconte plus.

Elle mord, semble intriguée par l'étrangère faussement familière. Astard est aux anges, il se croit fin manipulateur, le bougre. Bon, il en mène pas large, la faire boire pour l'amener à avouer des secrets embarassants est effectivement un un complot inutile puisqu'elle est vampire. Il aurait pu y penser avant, mais penser c'est pas son fort.

De son côté, il trinque et vide son verre d'une traite, commande le suivant presque par automatisme. Reste qu'il doit se trouver une excuse, mine de rien, et ce serait peu le connaître que de dire qu'il y irait pas au culot.

" 'Peut pas me souvenir de tout après des années, c'pas simple. Mais tu m'avais fait forte impression, on va dire..."

Ça, c'est qu'un demi-mensonge, elle lui avait vraiment fait forte impression (négative) la première fois qu'il l'a croisée. Faut comprendre que là, il joue, il s'amuse, mais toujours aussi taquin, il pique:

"Mais c'est bizarre, à l'époque, t'avais pas les mêmes... attributs."

Parce qu'il te connaît, petite cachottière. T'es pas plus chimère que lui, et il estime hâtivement que ça doit pas être nouveau que tu t'amuses à infiltrer les cercles privés. Allez, balle dans ton camp, ma pauvre.

Bon, alerte. Oui, le Capitaine commence à paniquer, et le cache pas nécessairement si bien. Que Céleste soit sa pire ennemie est une chose, mais qu'elle soit de surcroit une chimère, ça va pas dans le sens de ses interêts. Par contre, ça lui donne quelques leviers pour ricaner un bon coup, alors il chasse la peur et accueuille le taquin au fond de lui.

"Ça valait le coup, ça?"

Il flanque une pichenette dans une des antennes, comme ça. Faut dire que notre héros est pas tout à fait un génie, mais il sait au moins que chez les bestioles, c'est sensible. Ça doit l'être aussi chez les chimères. Mais bon, c'était évidemment un geste affectueux de la part d'une compère. Oh, le joyeux luron...

"Non mais blague à part, t'as pas eu de pot sur le tirage de tes gènes."

C'est sûr que déguisé en ratte, il avait l'air sensiblement moins ridicule. Quoique ses vieilles guenilles lui donnaient un air de vagabond mal fini, mais ça avait rien à voir avec son injection fausse ou supposée.

"Faudra penser à te faire rembourser, hein."

Ah, la bonne blague. Non, c'est surtout pour lui rappeler que justement, y'a pas de retour en arrière possible.