Pas d'omelette - [Céleste & Huia]

L'heure tournait, sûrement, au loin. Je n'avait pas vraiment de moyen de le savoir, enfermée et retenue, légitimement. J'avais joué, et perdu. Tenté de faire passer une boîte d'oeufs de chez les vivants à notre nouveau paradis, consciente des risques. Je n'avais pas vraiment agi pour les ossements, plutôt par goût du risque. Pour briser une règle, pour m'opposer à une contrainte arbitraire, une loi qu'on m'avait imposée. Une rébellion puérile, une opposition à un spectre d'autorité. Un coup d'épée dans l'eau, mais si apaisant. Et puis, cette nouvelle vie restait un terrain de jeu pour moi, un ersatz de vie où m'autoriser l'interdit.

Je me tiens dans un bureau, vide pour le moment. La boolice m'est véritablement tombée dessus, j'ai décidé de ne pas résister ni de nier. J'avais joué, et perdu. J'attends sagement la suite, mon pied tremblant d'inquiétude, je ne sais pas exactement ce que je risque.

J'entends la porte s'ouvrir, se fermer, et je la reconnais. Déjà, elle a l'air de mauvaise humeur, mais c'était déjà le cas la dernière fois. Sa doit être son air naturel. Je crois qu'elle m'a reconnu aussi. Non, c'est certain, je l'ai mordue il y pas plus d'une semaine, et à juger sa réaction, j'ai du faire forte impression.

"Bonjour...

Gênée, je croise mes mains et baisse sensiblement la tête. Je ne sais pas quoi lui dire, j'aurais préféré me faire sermonner par des inconnus.

Elle m'appelle par mon nom, déjà ça me hérisse le poil. Comme si elle y apposait de l'irrespect, comme pour le rabaisser. D'ailleurs, elle ne s'est pas présentée, je ne sais toujours pas qui c'est, en fait. Juste une bop que je crois anormalement souvent. Bon, cette fois-ci, je l'ai cherché.

"Je sais ce que j'ai tenté de faire. J'assume."

Dans un sens, j'imagine que ça me démarque grandement de beaucoup qui m'auront précédé. C'est infiniment plus simple de nier, de geindre, de prétendre être innocente. Une perte de temps pour tout le monde, aussi, et certainement pas une manière de voir ma sentance allégée.

"Et non, je ne sais pas ce que je risque."

Enfin, de ce que j'ai cru comprendre, pas grand chose. Le système judiciaire d'ici m'a l'air franchement foireux et particulièrement clément. Et puis, pour une pauvre douzaine d'oeufs, vraiment, qu'est-ce qu'on peut me donner comme peine juste? En fait, j'ai presque l'espoir de m'en tirer avec pas bien plus qu'un sermon long et chiant. Mais ça reste une inconnue, un abysse de possibilités, peut-être qu'une cellule m'attendait, l'idée me rendait nerveuse.

"Mais vous ne vous êtes pas présentée. Je suis certaine que ça fait partie de la procédure."

AU fond, j'en sais rien, mais je peux bluffer. Il me faut son nom, pour rééquilibrer nos positions, absoluement. Je ne peux pas danser sur  un pied d'égalité avec une figure sans description, sans nom.

L'amende, j'entends, mais la prison? Ma tête se penche sur le côté d'un léger degré, je fronce légèrement des sourcils. J'en doute. Ce qu'elle raconte n'a pas de sens, ne colle pas avec mon expérience, avec les faits qui m'ont été présentés. Face à la contradiction, une solution: elle ment. Je ne sais pas à quelle fin, pour m'apeurer ou s'amuser de ma naïveté, mais je n'aime pas la méthode.

J'inspire, laisse même paraître mon doute sur mon visage, mais ne dit mot. Ça ne servait pas à grand chose, au fond. Je ne réponds que quand elle se présente enfin.

"Enchantée."

Pas vraiment, mais c'est convenu. Peut-être que j'accorde ma confiance trop vite, mais je crois au nom qu'elle me donne, m'y attache et le retient. Alors qu'elle m'a honteusement menti quelques instants auparavant. Je suis irrécupérable, pas vrai?

D'ailleurs, elle va vite s'en rendre compte. Elle me pose une question étrange, absoluement déplacée, je fixe les papiers sur le bureau mais l'envie me vient de la fixer dans les yeux. J'en ai juste pas la force, je crois. La discussion a pris un tournant brutal incompréhensible, je me braque en opposition. Comme d'habitude. Comme toujours.

"Vous êtes là pour m'engueuler ou me recruter chez les bops?" La frustration me prend inexplicablement, elle m'énerve sans que ma rage n'aie de cause ni de raison. Je me projette déjà trop, surintellectualise la situation, interprète tout six coups à l'avance. "J'ai pas besoin de votre condescendance. Balancez votre sermon qu'on en finisse. J'ai mieux à faire."

Je sais déjà que je m'attire certainement des problèmes, plus que nécessaire, mais mon sang me pousse encore et toujours à a réaction, au conflit. C'est plus fort que moi.

Criminel, le mot est lâché, et franchement injustement. Pour une demi-douzaine d'oeufs, je pouvais difficilement être considérée dangereuse ou immorale. Enfin, c'était sûrement mon interprétation des lois, hein. Reste que le mot est choisi, et me déplaît. C'est décidé, elle ne tirera rien de constructif et raisonné de moi. Je me ferme, et j'attends dans ma carapace. J'ironise, quand même.

"On est déjà en train de perdre du temps, alors pour ce que ça change..."

Mais elle pousse encore le bouchon, tente de revenir avec ses questions. Je n'en comprend pas la fin, en fait, puisqu'elle a oublié de me la mentionner. Dans tous les cas, elle n'aurait pas de réponse, en fait. Et puis, je ne saurais même pas y répondre intelligemment. Qu'est-ce que je sais faire? Il y a trop et pas assez de réponses.

"Je sais être insolente. Ça te va, ça?"

Elle me tutoie, j'en fais de même. Puisqu'elle insistait, voilà ce que j'ai à lui dire. Qu'elle se débrouille avec, mon propre sort n'est plus tellement une inquiétude, seulement l'instant présent. Le fait de contrôler la situation, la disucssion surtout, de refuser la soumission à une autorité illégitime.

Même ses reprises, ses avertissements, tout les airs qu'elle se donne, j'y suis indifférente. Je m'asseois confortablement sur mon fauteuil, en une pose décontractée et irrespectueuse. Plus rien à faire.

Mais la fougue retombée, je sais que je n'ai rien à gagner à lui tenir tête. Vraiment, littéralement rien. Plus vite je serais sorti de ces maudits bureaux, mieux c'est. Je soupire, tapote en rythme sur les accourdoirs pendant un instant, et lâche presque malgré moi.

"J'ai été femme de ménage pendant presque un an de mon vivant, ça peut servir, ça?"

Certainement, les locaux de l'agence me paraissent toujours pauvrement entretenus. D'un autre côté, je peux quand même concevoir que dans un monde où l'on prétend devoir s'amuser, le ménage passe en second plan. Mais bon, ça n'est pas vraiment ma passion non plus, et puisque l'audace va de pair avec l'insolence, je tente quand même, sans vrai espoir:

"Remarque, ça a l'air confortable d'être de ton côté du bureau. Vous prenez pas des stagiaires ou quelque chose, réinstertion tout ça, histoire qu'on oublie?"

Elle m'a déjà montré un certain appétit pour la corruption, c'est certain qu'elle se fiche des procédures. Moi aussi, ça tombe bien.