Le rendez-vous des chats | PV : Madeline

Aujourd’hui, c’est Caramel qui aura ses faveurs.

Comme toujours, quatre après-midi dans la semaine, Alberto entre dans la chatterie du refuge animalier. Il offre quelques caresses aux dos qui se frottent contre ses pattes, va chercher les plus timides, laisse tranquille ceux qui s’enfuient. Puis il sort de ses poches un paquet de friandises, des différentes chaque semaine. Les chats, ceux qui sont habitués à sa présence, savent très bien ce que signifie ce petit rituel. Il en donne à tout le monde, les plus gourmands se jettent dessus, les autres les reniflent du bout de la truffe. Il écartent ceux qui auraient le malheur d’essayer d’en avoir deux sans en laisser aux copains. Alberto, il les connaît, les chats. Certains se battent pour la bouffe - alors il leur donne plus loin, à l’écart des autres.

Une fois tout le monde servi et les caresses distribués à tout le monde ou presque, Alberto se saisit d’un félidé un peu plus détendu que les autres avant d’aller dans son fauteuil. Car on peut dire que c’est le sien, il est assez souvent dedans pour qu’il ait pris la forme de ses fesses.

Cette fois donc, il prend Caramel. Un gros chat rouquin, typiquement un chat de gouttière. L’animal ronronne sans rien dire, en se laissant porter comme un sac à patates. Alberto se cale dans le fauteuil, le pose sur ses genoux, et commence à lui caresser la tête. Il regarde devant lui, les autres chats faire leur vie. Caramel commence à ronronner, ça le détend. Un autre chat vient s’installer à côté de ses jambes, et ils somnolent tous les trois.

C’est ce qu’il appelle un bon après-midi.

Il faut avouer que quand Al dort, il dort. Il ne fait pas semblant, il a toujours eu le sommeil lourd. Sa respiration est calme bien que quelque peu sifflante, et selon les positions il lui arrive de ronfler. Avec le chat sur les genoux, et l’autre à côté, il fait dire que le sommeil se laisse facilement porter. Par réflexe, il caresse la tête de Caramel, sans se rendre compte vraiment du temps qui passe.

Ce dont il se rend compte, c’est de ta présente.
Du moins dès lors que tu lui fonces dans les jambes.

Caramel sursaute, s’enfuit - l’autre chat à côté également. Alberto, lui, se réveille en sursaut, grognant un petit cri de surprise. Il baisse les yeux, sourcils froncés, sur toi, tes oreilles de chats et ta queue de renard. Tu es jeune.

“Euh… Bonjour ?”

Alberto ne répond pas.
Il se contente de t’examiner.

Les oreilles, qu’est-ce que c’est encore que cette nouvelle mode ? Pourquoi se balader avec de telles oreilles si ce n’est pour se faire remarquer ? Les jeunes ne savent plus ce qu’ils font, c’est évident. Al ne répond pas, mais il marmonne. On peut comprendre “une de ces femmes-animaux…” prononcé dans un italien parfaitement mâché.

Il se redresse tout de même sur son siège. Caramel n’est plus dans son champ de vision, et un autre chat se trouve dans tes bras. Il a l’air mal à l’aise. Al se courbe pour aller le chercher, le pose sur ses genoux, et lui gratte la base du cou.

“Il faut le calmer ce chat, ce n’est pas un jouet.”

Il dit ça parce que tu as l’air jeune. Des enfants qui martyrisent les animaux, il en a connu - les siens par exemple.

“Je sais bien que ça n’est pas un jouet !”
“Alors pourquoi tu joues avec ?”
“Il est malade et il doit prendre ses médicaments, mais forcément il ne veut pas.”

Alberto, il hausse un sourcil.
Et il n’irait pas s’excuser d’avoir eu tort, quelle idée stupide.

Que tu sois ou non en train de jouer avec, le pauvre chat a l’air d’avoir eu sa frayeur de la journée. Il ne se détend pas vraiment entre ses mains, mais au moins il ne dit plus rien. C’est déjà ça, qu’on pourrait se dire.

“Si vous voulez, vous pouvez nous accompagner, il a l'air de bien vous aimer !”

Est-ce qu’il irait donner un médicament à un animal ? Bonne question. Il a bien dû le faire pour son chien, de temps en temps. Mais c’était un chien, pas pareil. Un bout de fromage et il se jetait dessus comme un affamé. Alors que le chat, bah il fonctionne différemment. Déjà, il ne mange pas n’importe quoi, c’est un grand point. Alors pour lui faire avaler des cachets, ce n’est pas la même limonade.

Et puis, qu’est-ce qu’il en sait, Al ?
Il n’est pas vétérinaire, que diable.

“Pourquoi tu laisses pas les adultes le faire, hein ? Et les professionnels ? Ils sont là pour ça, non ?”

Dans son esprit, et malgré la rudesse et les manières avec lesquelles il l’affirme, ça fait sens. Tu risques de te blesser, de blesser le chat, et de faire plus de mal que de bien, même si tu essaies d’aider.

Et entre ses doigts, le chat ne se détend pas vraiment.

“Bah, pour aider les adultes - Alberto n’aime pas ce bah. Ils sont toujours occupés et il faut bien les aider un peu, pas vrai ?”
“Oh crois-moi qu’ils trouvent toujours le temps pour venir leur faire prendre leurs cachets, à ces chats.”

C’est vrai. Et puis ils savent, pourquoi alors demander à des bénévoles ? Alberto n’est pas idiot, il se doute bien que tu as pris l’initiative de toi-même. Et il considère que c’était là une bien mauvaise idée. De toute façon, tu es une enfant, non ? Qu’est-ce qu’ils ont dans la tête, les jeunes de nos jours ? Pas grand-chose de toute évidence.

“Et puis j'aime bien les chats. Ils sont gentils et mignons.”
“C’est pas une raison, ma fille.”
“Mais bon la il est un peu vilain, car il ne veut pas prendre son médicament calmement. Bon tous les chats sont comme ça, mais ça n'est pas très pratique.”

C’est exactement pour cette raison qu’il faut laisser faire les professionnels, n’est-ce pas ? Et puis imagine donc, tu n’as pas le bon médicament ? Pas le bon dosage ? Pas la bonne quantité ? Et que le chat meurt ?

Il ne réfléchit pas trop, Alberto.
Il ne va pas re-mourir, le chat.

“Mais s'il est un peu plus calme, ça va être plus facile.”
“Pour ça, il aurait fallu éviter de lui courir après, en première instance.”

Il fronce les sourcils.

“Essaye donc avec des olives la prochaine fois. Les chats en raffolent.”

Il n’y avait qu’à voir le chat du voisin, qui venait sur la terrasse dès qu’ils prenaient un petit apéritif ou une part de pizza avec des olives dessus.

“Vous me rappelez un peu les chats monsieur, vous grognez beaucoup.”
“Oui, c’est dans mon caractère.”

Alberto avait ce côté énervant de celui qui sait qu’il l’est - énervant. Que ça plaise ou non alors, Alberto ne s’en préoccupe plus. Il est trop vieux désormais pour s’en faire, ou pour s’inquiéter de la manière dont le voient les gens. Il a compris ça assez tôt dans sa vie, et maintenant, ça le suit.

“Il a couru en premier, d'abord.”
“Et donc ?”
“Des olives ? À la place des noyaux ?”

Il se demande sérieusement ce qui peut bien passer par le fond de ton esprit. Ou aurais-tu songé pendant un instant - même court - à gaver ce pauvre chat avec des olives qui n’ont pas été dénoyautées ?

Franchement, qui se dit ça ?

“Bien sûr à la place des noyaux, tu ne vas tout de même pas les laisser en place !”

Il gratte le chat derrière les oreilles. Ce dernier commence seulement à se détendre dans ses bras - visiblement il apprécie. Tant mieux, il aurait au moins fait quelque chose de bien par ici.

“Mais crois-en mon expérience, les chats en raffolent. Quelque chose avec leur odeur, je crois, mais je ne pourrais pas en dire plus.”