You saw nothing - ft. Céleste Raine

Aller Terri, sortir fait du bien. Ça remonte le moral, ça boost la sérotonine (est-ce que c'est un concept qui s'applique encore ici ? elle n'est plus sûre), et ça lui fait voir que, malgré tout, la vie continue. Qu'est-ce que c'est ridicule. Elle tente de ne pas trop y penser, y'aurait de quoi éclater de rire comme une maniaque au milieu de la rue, encore une fois. Elle n'a pas besoin de se sentir plus weird qu'elle ne l'est déjà. Extraterrestre éjectée hors de son vaisseau-mère, sa petite Charlotte ville…

Elle ne comprend toujours rien au japonais, ou à peine. Même si elle s'est assurée de prendre une potion avant de partir, les panneaux d'indication… ne lui indiquent pas grand-chose. Manque de références. On pourrait lui informer que la tour Eiffel est à deux coins de rue, elle ne saurait pas plus où elle est présentement. Mais y'a une foule. Petite. C'est bon signe. Y'a encore des fleurs. Ça aussi, c'est bon signe. Ce qui est moins bon signe, c'est que ses pieds commencent à être fatigués. Y'en a marre de marcher. Combien de temps a-t-elle marché ? Merde, elle s'est vraiment perdue dans ses pensées. Et elle n'a pas pris note de son chemin. Classique.

Elle s'arrête un instant au milieu de la place. En observant les alentours, elle cherche un repère – n'en trouve pas. Et son intuition, elle ? Et bien il lui semble qu'elle est arrivée à partir de… là-bas ? Ouais, le sentiment est bon. Si elle coupe par-là, elle arrivera à l'agence en un rien de temps, elle en est sûre.

Elle l'espère, surtout, car ses pieds sont à bout.

Les mauvais signes s'accumulent, mais Terri les ignore, parce que retourner sur son chemin se serait admettre s'être trompée et devoir enchaîner plus de pas pour se rendre chez elle. La foule a diminué. Il lui semble qu'il fait plus sombre soudainement. Les rues sont plus étroites. Ok, ça donne la frousse. Mais elle approche de chez elle, elle est sûre. Oh, pour une fois elle a tellement envie de retrouver l'embrassade humide de son terreau…

Elle s'apprête à tourner un coin de rue, mais se ravise aussitôt en voyant deux personnes discutant sur place. Elle ne sait pas pourquoi, quelque chose lui dit qu'elle n'a pas à être là. Pourtant, qu'est-ce qu'elle a à craindre ? C'est pas comme si elle pouvait MOURIR encore hein. La curiosité gagne sur la peur. Du coin du mur, elle observe l'échange qui a lieu, sa petite blonde illuminant à son insu la scène.

Elle ne comprend pas ce qu'elle voit. Pourquoi deux personnes se réunissent-elles dans un coin aussi sombre seulement pour discuter ? Oh mais c'est pas seulement une discussion. C'est un échange ! De quoi ? De là, Terri ne voit rien. Mais la réalisé lui serre la poitrine. Dernière fois qu'elle a vu un truc pareil, c'était dans sa vie, c'était de la drogue et c'était hautement illégal hein. Mais oui qu'est-ce qu'elle est bête ! Pourquoi est-ce que deux personnes se rencontreraient dans un endroit aussi sombre si ce n'était pas pour s'adonner à des activités tout aussi ténébreuses ?

Le souffle court, elle décide qu'elle en a assez vu. Il faut filer. Discrètement. Mes ses muscles sont comme paralysés. Aller c'est pas le moment ! Retourner sur ses pas, c'est pas plus compliqués que ça. Mais l'angoisse la cloue sur place. Et elle sent le sol se dérober sous ses pieds quand elle est interpelée.

« Q-qui ça, moi ? »

Voix de petite souri. Elle s'en veut immédiatement d'avoir répondu et pas seulement pris ses jambes à son cou. Qui d'autre est là ? Y'a pas le choix. Et la dame s'est annoncée sympa. Est-ce que Terri la croit ? Elle ne sait pas. Elle n'a pas le choix : son ton autoritaire défit toute sa volonté.

Alors elle passe la tête de l'autre côté du mur, observe sans se cacher celle qui se tient dans le noir. Elle parvient à faire un pas, deux pas pour se montrer.

« Je suis désolée ! Je vous jure que je suis pas une stalkeuse, je suis juste arrivée ici par hasard, je ne suivais personne, en fait je voulais rentrer à la résidence, mais je pense que, eh, je me suis perdue. »

Sa voix se fait de plus en plus petite, la fin est pratiquement imperceptible à l'oreille. Terri regarde le sol et déglutit difficilement. Elle ne veut pas d'ennuis.

La dame est effrayante, c'est déjà établi. Mais en plus, elle est culpabilisante. Terri triture ses mains alors qu'elle réalise que, ben, ouais, elle est bête, elle aurait dû ouvrir son téléphone pour regarder où elle est, LA BASE. C'est pas comme si elle était morte le siècle dernier non plus, elle est née avec cette technologie entre les mains. Qu'est-ce qu'elle est bête. Elle sent sa gorge se serrer. Elle n'a aucune excuse à livrer, aucune qui ne la renfoncerait pas plus dans ce tourbier. C'est dur, la mort, peut-être plus que la vie.

Parce qu'elle est dans les beaux draps hein, et c'est là-dessus qu'elle concentre ses efforts. Quand la dame insinue qu'elle ferait quelque chose avec ce qu'elle vient de voir, Terri s'empresse de démentir.

« Quoi ? Non, non, non, j'ai rien vu je le jure, j'ai seulement vu que vous parliez tous les deux, hein, rien de criminel on s'entend pourquoi est-ce que je ferai un film je fais pas de film moi je vois pas du tout mais pas du tout ce que je pourrais faire même si je voulais faire un film y'a pas de quoi s'inquiéter je vais pas vous déranger plus que cela madame, je le promets ! »

À bout de souffle, Terri a le bout des oreilles rouges, elle en est sûre. Elle tente peu subtilement de les cacher avec ses cheveux et ses mains carrément tandis qu'elle pense à toute vitesse à son plan d'évasion.

« Voyez y'a pas de souci alors eh au revoir madame, on ne se recroisera pas ! »

Elle tourne sur ses talons, s'apprête à partir – dans la mauvaise direction.

La fuite est un échec. Terri fige sur place quand elle entend qu'elle part dans la mauvaise direction. Dos à la dame, elle grimace douloureusement. Elle a tellement honte. Comment a-t-elle pu faire une erreur pareille ? Mais dans la situation immédiate, il faut bien qu'elle mette de côté son égo et qu'elle l'admette : elle a besoin d'aide. Et l'autre lui en propose – enfin, c'est un grand mot. Disons plutôt que la coïncidence va en sa faveur et que Terri serait bien ingrate de refuser.

(Et honnêtement ce serait beaucoup plus awkward de marcher dans la même direction à trois mètres de distance)

Alors elle se retourne. Tête rentrée entre les épaules. D'une voix toute petite, elle répond « D'accord je promets, pas de film. Mais je le jure je suis vraiment arrivée ici par accident. »

Qu'elle n'aille pas croire qu'elle avait de mauvaises intentions louches comme elle ! Maintenant que c'est sur la table, elle meurt d'envie Terri de la questionner sur ce qui s'est passé juste là. Est-ce que c'était vraiment de la drogue ? Y'a de la drogue dans le monde d'après ? Elle est toute confuse, elle pensait qu'il n'y avait que des potions ici… En se mettant en marche avec la dame, elle tente de chasser l'idée de sa tête. Elle a promis de ne pas se faire des films. Elle tiendra parole. Mais il faudra rompre le silence pour qu'elle arrête de vriller dans son esprit.

« Du coup, eh… »

C'est ce qui arrive quand on ouvre la bouche avant de réfléchir.

« Ça fait longtemps que vous êtes… là ? »

En espérant que cette question ne lui attirera pas plus d'ennuis qu'elle n'en a déjà.

Une question toute innocente se transforme en véritable procès. C'est du moins ainsi que le perçoit Terri à l'autre bout des remarques de la dame. Chaque phrase est une pique un peu plus pointue que la dernière. Des commentaires sur l'âge à la déduction terriblement juste sur son temps passé à Tokyo. Pauvre, effectivement.

La tête basse, Terri marmonne un « oui ok d'accord » peu assumé pour toute réponse. Elle a horriblement honte. Leçon apprise brutalement, c'est le cas de le dire. Est-ce que tous les morts sont aussi susceptibles que ça ? Dans sa tête elle retourne l'interaction sur tous les angles possibles et décide que c'est l'autre qui est en tort. Elle est innocente ! Elle ne connait rien du tout ! On peut pas lui en vouloir ni lui parler comme ça !

Tranquillement, l'embarras se change en colère sourde. À trois pas derrière la dame, Terri prie pour que le chemin soit le plus court possible. Elle n'a plus envie d'être là ou d'essayer de faire amie – enfermée dans son mutisme inhabituel, il est clair qu'elle fait la gueule même si elle se pense subtile.

Elle soupire. Elle croise les bras. C'est tellement plus facile que de se mettre à pleurer. Elle a tellement pleuré. Elle ne veut plus pleurer. Pas à cause de cette dame méchante. Peut-être encore à cause de son appartement pourri. Mais pas pendant qu'elle peut profiter encore d'un certain air frais.

« C'est encore loin ? » Plainte d'ado lassée dont le souvenir n'est pas encore très loin. Ah, oui, elle sait faire la gueule Terri, quand on lui indique que sa chaleur n'est pas la bienvenue. Ou plutôt qu'elle est déplacée et qu'elle crée des malaises.

Mais elle ne fait pas d'erreurs Terri.
Pas autant que ça.
C'est l'autre qui l'emmerde, voilà.