L'illusion ne dure qu'un temps ft. Mary

Changement d’ambiance dans cette forêt enchanteresse. La dissonance des propos de Mary avec les précédents est flagrante. Depuis quand elle le trouve mignon ? C’est évidemment sarcastique, mais la tournure lui semble étrange au vampire comme si elle se méfiait de quelque chose. Liam n’a pas oublié, ses crocs sont légèrement visibles, un peu moins que la première fois qu’il a senti la soif l’assaillir, est-ce suffisant pour la repousser ? Il n’y est pour rien, deux facteurs font qu’il n’a pas encore prit sa dose de sang : son nouvel appartement et l'économie. Pour lui, il était plus simple d’attendre la dernière minute pour se sustenter, ainsi cela lui épargnait quelques ossements. Puis, une chimère contre un vampire, le vainqueur est déjà tout vu. Les suceurs de sang n’ont rien de spécial, ils sont même très inutiles. Être un lémure revient à rester normal, être un nécromancien, c’est l’assurance d’un pouvoir et des capacités à créer des potions, une chimère en plus d’être croisé avec un animal, elle a un cri qui rend fou, les zombies … Un corps en décomposition couplé à une mauvaise odeur, c’est amplement suffisant pour repousser un assaillant. A la fin, il y a les vampires … Ils ont des crocs mais ils ne peuvent pas blesser un mort. Ils doivent se nourrir du sang d’un être vivant pour survivre, sans oublier que celui-ci doit être du même groupe sanguin. Beaucoup trop de contraintes pour aucun mérite. Certains diront : “Vous pouvez retourner dans le monde des vivants !” A quel prix ? Un risque de tomber en poussière ou de faire tomber le secret de ce monde.
Là n’est pas le sujet. Liam se perd dans trop de pensées inutiles. La voix de la chimère le rappelle à l’ordre, et elle marque un point. Ce n’est pas dans ses habitudes d’être aussi bavard avec une inconnue, sans oublier qu’elle a davantage tendance à lui envoyer des piques qu’à vouloir faire connaissance. Dans un haussement d’épaule, il tourne les talons et se dirige à nouveau vers la cuisine.

”J’aurais pu cuisiner immédiatement si tu ne m’avais pas abordé pour m’engueuler.”

Le bicolore tente de marquer un point en échange mais il n’est pas convaincu de sa propre pique. Peu importe, il continue son chemin jusqu’à la cuisine où il s’empresse de regarder ce qu’il y a de beau dans les placards et dans le réfrigérateur. La tête dans l’espace lumineux et frais, il soupire. Aucune idée ne lui vient, sans oublier qu’il ne sait même pas si la chimère-vampire va rentrer. Liam se retrouve dans une sacrée impasse. Puis, l’autre chimère lui parle à nouveau. Il sort la tête et referme la porte du frigo.

”Pour quelqu’un qui râle sur le fait que je discute plus que je cuisine.”

Il marque un temps de pause. Ce n’est pas le moment de se prendre la tête, elle est juste curieuse et cela peut jouer en sa faveur.

”Je ne suis pas vraiment son cuisinier non plus. Siska … Elle est libre. Elle s’occupe parfois des vampires et comme je connaissais Poppy, je venais parfois ici. De fil en aiguille, elle m’a pris en grappe. Elle impose sa présence sans se soucier de ce que je pense.”

Liam ne sait pas dire pourquoi elle s’intéresse à lui.

Les informations fuitent plus rapides qu’elles ne le devraient. Si Liam avait l’illusion d’avoir contenu son secret jusqu’ici, Mary ne semble pas l’entendre de cette oreille quand elle lui révèle que son excuse est “bancale”. La chimère est naïve, extrêmement naïve. Cette excuse “bancale” pourrait devenir rapidement une réalité si le vampire n’avait pas oublié de demander à Siska son numéro de portable. Enfin, si elle en possède un. Un petit message discret pour la prévenir, Liam est persuadé que cela lui ferait plaisir surtout s’il prend les devants, ce qui n’est pas dans ses habitudes. Tant pis, il prendra les remarques telles qu’elles sont. Puis, la chimère reprend son questionnement. Elle n’oublie pas de préciser que leur échange est là pour égayer leur cohabitation forcée, ce que Liam ne conçoit pas. Un silence conjoint est bien mieux qu’une discussion forcée. Peu importe, le plus important reste les quelques informations collectées et intéressantes. Et pour le moment, c’est à sens unique.
Un soupir, puis il reprend son activité en cuisine. Le repas ne va pas s’avancer tout seul et il n’a aucune raison de lui répondre. Liam ne parle pas à tout le monde de ses projets de grandeur, encore moins à une chimère insignifiante. A l’inverse, il devrait chercher des questions à lui poser. Pendant que ses mains s’avèrent à fouiller encore une fois dans les placards à la recherche d’une idée, son cerveau se ménage pour glaner quelques informations. Un paquet de Udon, un pot de sauce Soja, quelques légumes qui se battent dans le réfrigérateur; Liam a trouvé une idée.

”Ce que j’y gagne ne te regarde pas. Sans compter que tu me poses beaucoup de questions, et je n’obtiens rien en échange. Quelle est ta relation avec Siska ? Avec tes colocataires en général ? Pourquoi es-tu devenu une chimère ?”

Sa main abat le paquet de nouilles fraîches et ses talons se tournent vers son interlocuteur. L’interrogatoire était fini pour lui, elle devait y passer aussi; les informations, c’est donnant-donnant même s’il doute d’obtenir quelque chose d’intéressant. Le vampire ne sait même pas si la chimère sera honnête avec lui, elles sont connues pour détester le genre masculin et elle n’a pas de raison de l’être. Au moins, il aura essayé.

Parmi toutes les émotions existantes, Liam déteste ressentir ce qu’on appelle la “jalousie”. Toute sa vie, il a baigné dans la luxure et le plaisir d’être supérieur. Ce n’est pas lui qui était jaloux mais les autres, il l’enviait pour sa vie de richesse. Pourtant, derrière ses lingots d’or, on peut y apercevoir une montagne de cadavres. Les pauvres représentent un tremplin vers la gloire, les plus naïfs restent les meilleurs. L’Américain ne connaît pas tout le passé de son père, mais il connaît le sien et ce n’est pas une vie de bonheur qu’il a connu. Il pensait naïvement que dans la mort, la paix lui serait accordée et pourtant, il doit s’accommoder de la pire des colocations. Si les liens étaient devenus encore plus horribles qu’à l’époque, ce n’est pas la pire des choses. Oui, Liam est jalou de l’entendre dire que leur collocation est de bonne entente. Après tout, au fond, il le savait. Siska est peut-être intimidante, mais elle s’inquiète pour les autres et les protège. Poppy, avant son départ, était une bonne collaboratrice, elle avait des ambitions et était prête à l’aider. Thomas, c’est un bon gars même s’il énerve un peu le bicolore à agir en victime. Que pourrait-il dire de Mary ? Leur rencontre n’est pas des plus fortunés mais elle ne semble pas aussi catastrophique qu’une rencontre avec un certain pirate. Grimm, c’est la forêt enchantée. Elle le fait rêver d’une harmonie parfaite. Liam a envie d’y mettre un terme … Il veut tout briser pour ne plus être seul dans ce désespoir naissant.
Puis, son rêve éclate. La voix de la chimère le ramène à la raison quand elle énonce ne pas vouloir parler de sa chimérisation. C’était évident et le vampire n’en dira rien de plus. Après tout, lui non plus n’avait pas envie de parler de la manière dont il était devenu vampire. Comme pour clore le sujet, elle semble s’intéresser à ses plans de cuisine. Il hausse un sourcil avant de soulever le paquet de nouilles.

”Tu n’as pas besoin de changer de sujet, je n’en aurais pas demandé plus.”

Ses lèvres se referment, Liam range sa langue de vipère pour se retenir de lui dire : “ce n’est pas comme si ta vie m’intéressait”. Pour le moment, Mary n’a rien d’intéressant à ses yeux. Elle a laissé sous-entendre que cela fait plus d’une trentaine d'années qu’elle vit en colocation ici. La conclusion la plus simple est qu’elle est morte il y a trente ans. Mais ce n’est pas toujours les réponses les plus évidentes qui sont proches de la vérité.
Après son temps de pause, l’Américain reprend le paquet de nouille udon auprès de lui et retourne au niveau du réfrigérateur pour en sortir des carottes, des champignons et un bouillon de légumes. Il dépose le tout sur le plan de travail pour prendre à sa suite une planche à découper, un économe et un couteau.

”Pour te répondre, je pense partir sur des udons avec quelques légumes comme tu peux le voir.”

Puis, il réfléchit avant de demander.

”Tu veux aider ?”

Question risquée, mais qui ne tente rien n’a rien. Dans le même temps, il tend une carotte dans sa direction et l’observe en attendant sa réponse.

Liam ne peut pas s’empêcher d’être surpris quand la chimère accepte de lui donner un coup de main en cuisine, ignorant de ses quelconque capacités en la matière. Il la laisse prendre la carotte et détourne son regard de sa personne, pour lui, si elle a accepté, c’est qu’elle est capable de se débrouiller. Et c’est pour cette raison que l’Américain n’a pas remarqué les changements dans son comportement. Occupés à éplucher les champignons, habitudes prisent à force d’observer les cuisiniers de sa maison, ses mains démontrent de leur habileté à manier le couteau et les ingrédients. Malgré son ignorance, Liam sent une gêne à ses côtés, il n’entend plus le couteau contre la planche à découper; son rythme a changé. Intrigués, ses iris bicolores se détournent un court instant de leur tâche principale pour croiser un flot de sang s’écoulant d’une main maladroite. Loin d’être choqué ou troublé par la vue de cette blessure, l’albinos lâche un soupire et ne peut pas s’empêcher de la taquiner sur son anglais.

”Ce n’est pas en jurant en anglais que la plaie se soignera. Si tu étais aussi maladroite, tu aurais mieux fait de me le dire.”

D’un air complètement détaché, il dépose son couteau et le pauvre champignon qui était en train de se faire éplucher pour se rapprocher de l’évier. Naïvement, on pourrait croire que le vampire a pour but d’aider la pauvre chimère mais à la place, il utilise le robinet pour se laver les mains avec du savon avant de s’éloigner à nouveau. Sans trop de difficulté, il parvient à s’orienter dans l’appartement et pénètre dans la salle de bain. Il en ressort quelques minutes après avec une trousse de soin en main; s’il n’avait pas montré son habitude de fréquenter les lieux, il ne comprend pas. De nouveau dans la cuisine, il dépose sa nouvelle acquisition au côté de sa partenaire malchanceuse et de ses mains libres, il se saisit de la main coupée. Sans un regard pour elle, une expression professionnelle sur le visage, Liam retire la serviette et observe la plaie.

”Tu as de la chance, la plaie n’est pas profonde. Après ça m’aurait arrangé que tu fasses un tour au Croque-Mort, j’aurais pu rester ici sans que tu me surveilles et tu aurais fait la connaissance d’une merveilleuse dame.”

Ironique dans ses propos de fin, le début en était loin. Mais, au lieu de s’étaler plus en bavardage, il dirige la main nouvellement acquise sous le robinet d’eau et le met en route. De l’autre main, il se saisit du savon et invite la chimère à se laver les mains. Les risques d’affection sont moindres mais l’Américain préférait rester prudent, même s’il n’oublie qu’ils sont déjà tous les deux morts. Pendant qu’elle se lave les mains, il reporte son attention sur la trousse de soin et commence à en sortir des compresses à gaz ainsi que steri-strip, bien heureux d’en trouver à l’intérieur.

Nous possédons tous une part de nous inavouable, une maladresse peut paraître anodine, voir mignonne mais derrière, se cache peut-être un passé douloureux. Si dans un premier temps Mary avoue qu’il ne s’agit pas d’une maladresse, elle n’ira pas jusqu’au fond de sa pensée et se ravisera à raconter à un étranger ce qui vient de se passer. Peu importe pour Liam, elle s’est coupée la main, la raison n’a pas besoin d’être connue pour soigner une coupure sauf si elle survient à la suite d’une attaque mais il a assisté à toute la scène. S'ensuit ce court échange où elle lui refuse un temps sa main avant de la lui redonner, encore un détail qui ne lui a pas échappé. Conclusion la plus simple et la plus rapide, la chimère n’aime pas le contact. Si le vampire cherche à élaborer un peu plus son hypothèse, elle n’aime pas le contact avec un homme et cela est peut-être dû à un traumatisme. Mais, il n’aura pas la réponse aussi facilement.
Rétorquant à ses paroles, Mary semble avouer son penchant pour la gente féminine plus que pour la gente masculine. Etrangement, Liam n’avait pas besoin de cette information pour s’en douter un peu, non pas que toutes les chimères soient lesbiennes. Dans un court laps de temps, il sort sa tête de la trousse de soin pour observer son interlocutrice, levant un sourcil comme pour faire semblant de s’étonner de l’information. Pour autant, l’Américain ne lui souhaite pas de rencontrer l’infirmière qui travaille avec le Croque-Mort, bien qu’il pense qu’elles pourraient s’entendre. Mais, il s’étonne réellement quand des paroles jugées normalement anodines atteignent ses oreilles. La boîte de steri-strips nouvellement prise en main retourne faire un petit tour sur le plan de travail. Liam ne s’attendait pas à entendre la chimère le remercier surtout pour une telle broutille, à ses yeux. Puis, vint une question pour le moins étrange.

L’Américain se recomposait tout en trifouillant dans la trousse de soin, jugeant en fin de compte qu’il n’avait pas besoin des steri-strips mais plutôt de l’eau oxygénée. En seulement quelques secondes, il se remet de ses émotions avant de s’étonner encore une fois. Il dépose l’eau oxygénée à côté des compresses à gaz et tourne ses iris bicolores dans sa direction.

”Quel âge me donnerais-tu ? Penses-tu qu’il faut être médecin pour savoir s’occuper d’une coupure de cette taille ? Même Siska avec son grand âge saurait comment traiter la plaie, si elle le voulait, je pense.”

Beaucoup d’hésitations dans sa dernière phrase, Liam avait dû mal à imaginer la vampire soigner les plaies de quelqu’un, surtout une aussi petite plaie. Puis, il reprend avec un peu plus d’assurance.

”S’il suffisait de savoir nettoyer une plaie pour être médecin, tout le monde le serait. Manque de chance pour toi, je ne le suis pas.”

L’Américain ne ment pas, il n’est pas médecin et n’a même pas fini ses études pour autant il ne dit pas toute la vérité sur lui-même.