tw : langage cru, mépris de classe, drogue, homophobie, prostitution, vol, tentative de suicide, overdose, vomissements, mort graphique, auto-mutilation, TCA
Place des fêtes.
Direct après le cours Florent, en ligne directe.
Le plan n'est pas du tout calculé. Il a jamais été bon en maths, meilleur à faire des arabesques sur le papier quadrillé. On lui a juste filé un plan en loucedé, sur un bout de papier.
Le spot du moment, c'est l'Îlot Chalon, près de Gare de Lyon. Mais le gars est vieux jeu et traîne pas mal sa bosse dans la rue des Envierges, non loin du parc. C'est moins loin, de toute façon.
C'est pas facile de se dégoter un gars comme ça, qui vous accepte parce que tu n'as pas la réputation alors on ne va pas faire la fine bouche. C'est pas comme s'il connaissait déjà le goût de l'héro.
Lui, il est novice. Ça va, il y connaît quelques trucs : le cannabis ne lui est pas inconnu et le restant de la marchandise, juste en soirée. Et encore, il reste pas mal ridicule puisqu'on s'est pas mal foutus de sa gueule quand il n'a pas réussi à encaisser un quart de gramme.
Le sale bourge, qu'on l'appelle, avec ajout de qualificatifs peu sympathiques sur la taille ou sur l'orientation sexuelle. L’autre incapable qui ne sait pas se démerder sans ses darons.
Grinçant des dents, il troque les deux cent trente francs de papa-maman au gars en question. C'est pas comme si l'argent n'était pas déjà sale. Même si on ne lui a pas donné d’adresse, Cassian s’étonne que ça se fasse comme ça, aux yeux de tous.tes, et qu’il prenne autant son temps pour lui filer l’échantillon. Comme si c'était habituel et pas dangereux. Ça l'emmerde. Mais il reste correct, courtois, au cas où il aurait besoin de plus, plus tard, pour vibrer. Parce que comme les cours de cinéma, il risque de s’y habituer. Il plane avec pas grand chose mais une fois trop consommée, il sait qu’il s’ennuiera et qu’il finira par passer à autre chose. Tu parles d'une dépendance.
Dans le fond, il s’en tape, de la drogue. C’est plus le côté illicite qui l’intéresse. Dépasser ce que papa lui a prévu comme petite routine pour le restant de ses jours. Ce n’est pas comme s’il n’était pas déjà hors-norme, le gamin. Il y a des choses que son père ne comprendrait pas, même jamais et qu'il ne pourrait pas changer. Cassian préfère ne rien dire, ne pas vexer et trouver lui-même ses réponses plutôt qu’écouter les bons conseils de maman pour éviter ce qu'elle ne veut pas voir et rester dans le droit chemin.
Et pourquoi n'y aurait-il pas plusieurs chemins ?
Ce n'est plus juste un long couloir, la rue des Envierges. En trois secondes, celle qui n'était qu'un passage dépeuplé puisque mal fréquenté se transforme en un gigantesque carrefour digne d'un changement entre Châtelet et les Halles. Tout le monde se bouscule, tout le monde s'insulte mais à défaut du RER B qui se pointe encore en retard, c'est la brigade qui débarque alors qu'on ne l'attendait pas. Regardant ses mains, tremblantes, il se voit déjà les menottes aux poignets alors que dans les mains, il n'y a rien. Pas une trace dans les veines mais il vrille. On lui a même volé sa thune donc aucune preuve contre lui si ce n'est d'être au mauvais endroit au mauvais moment. Et pourtant, comme tout le monde, il se carapate. Il n'a aucune raison de le faire puisqu'en plus, ça ne sert à rien. Mais c'est tout comme. Ses mains, en manque, tremblent, contaminent ses jambes. Le mouvement de foule le contamine. Dans cet embranchement infernal, Cassian tourne entre plusieurs ruelles dégueulasses dans lesquelles il a la chance de pouvoir se frayer, quand il a la malchance d'avoir un logement quelques kilomètres plus loin pour ne pas s'y abriter. Les anti-stups ont pour réflexe de fracasser les mauvaises planques que sont les portes derrière lesquelles tout le monde pense être caché. Lui s'y prend à l'ancienne. Il a bien fait de réduire à néant des gouttières en pas si mauvais état pour le quartier. Se jetant d'un toit à l'autre comme il sauterait de la tour Montparnasse. C'est dangereux, il kiffe. Comme il kiffe admirer depuis un toit, les cafards se faire embarquer par les condés. Il délire, il se met à sourire.
Ce n'est pas un désir de domination, juste du chacun pour soi dans le chaos. C'est grisant, le désordre.
Il y a des portes barricadées où des drogués tapent comme des tarés que rien que ça, on ne voudrait pas leur ouvrir. C'est à peine si on pousse l'autre collègue en pâture pour faire perdre du temps au poursuivant.
Comme on dit, c'est la loi de la jungle.
Il y a toujours une hésitation à se plier à la loi ; pour plaire. Le regard hagard sur ce qu'il se passe. Un homme est en train de prendre le même chemin que lui, à gravir les caniveaux muraux. C'est du plagiat. Cassian ne s'en offusque pas.
Il y a peut-être un flic qui était en train de poursuivre le copieur alors pourquoi est-ce qu'il l'aiderait à prendre la fuite, lui aussi ?
Comme tous les autres. Est-ce qu'il devrait vraiment lui prendre la main pour l'aider à escalader ?
En échange, il a le droit à un surnom. Le genre de mec qui veut pas se faire connaître, la jouer cool alors qu'Est, c'est vraiment ringard comme sobriquet. Il rit. Pour quelqu'un qui veut se faire appeler comme ça, il a l'air super à l'ouest pour croire que son sauveur l'ait remonté gratuitement. Il ricane. Vu que son plan deal s'est sans doute fait embarquer, il en a bien un autre à lui refiler, dans Belleville, l'autre imbécile.
Mais lui n'a pas l'air de le prendre pour un con si c'est pour l'accompagner et le recommander vite fait bien fait auprès de son dealer genre ils sont potes. Il n'a qu'à claquer quarante francs pour la même dose. Offre de bienvenue ou pas, c'est presque gratuit, vu les tarifs de l'autre en taule. Finalement, Cassian se dit que c'était pas une si mauvaise idée que ça, de pas avoir laissé Esteban se tuer contre le bitume, l'autre jour.
Il n'est pas dans le jugement, ce tocard. Il s'en fout que Cassian soit gosse de riche. Ce ne sont pas ses problèmes. Ça ne peut être qu'un avantage, quand le gamin décide de l'avancer sur la drogue pour cette fois.
Les bons comptes font les bons amis. Lorsque Cassian vient toquer à sa porte, en pleine nuit avec de précipitations clichées justifiant la sienne, il lui déboule toutes ses histoires. Et franchement, le rêve américain ne donne pas envie. Les capitalistes qui fuient après avoir polluer et mis à sac Detroit pour le laisser à la misère. Cassian aime comparer sa vie entière à la chute de Detroit. Il a l'air un peu dans le mal, il faut dire.
Plusieurs lettres s'échappent de son sac. C'est une lettre de ses parents qui demandent des nouvelles parce qu'iels n'ont pas moyen de communiquer autrement. On l'accuse d'être toujours absent. Il lui aurait joint de l'argent en liquide qu'il donne de suite à son hôte, avant de déplier la deuxième qui vient de son école. On le pensait lycéen, vu sa tête d'adolescent donc c'est plutôt rassurant. Joints à plusieurs mots sur ses absences injustifiées, une lettre d'exclusion qui ne lui fait que retirer un haussement d'épaule. Comme si payer trente mille francs des études supérieures, c'était rien. Enfin, c'est pas pour le prix que ses darons ont hésité à l'y intégrer, apparemment.
Après plusieurs courriers de ses parents se faisant passer pour de la famille dont ses grands-parents qui réclameraient son retour chez elleux, vient une dernière. On pourrait clairement appeler ça lettre de menace. Absent.e.s d'empathie. Après être exclu de son école, le voilà expulsé de son appart à Jaurès. Cassian, bredouille, fait des ronds de jambe, trouve encore une tonne de billets dans ses poches pour les refourguer cash, clame qu'il resterait pas plus d'un mois.
Ce n'est pas pour être méchant mais la tronche d'Esteban est désolé.
En même temps, dans vingt mètres carré parisien en location, tu m'étonnes. Mais il avoue n'avoir juste rien compris et ne savoir ni lire ni écrire, ni le français, ni l'anglais. C'est tout. Pour le reste, c'est d'accord.
Mauvais avec la langue, Cassian n'aurait pas dit ça.
Sa langue au goût d'ecstasy,
les papilles qui s'extasient.
Dans la consommation de cette passion, il y a de nouvelles distractions pour le jeune homme. C'est fun.
Sa langue embarquée par une autre,
il n'a pas les mots. Ils sont embarqués.
Cette passion qu'il a pour l'autre crétin, il ne la définit pas. Il n'en a pas besoin. C'est illicite, c'est inédit, c'est drôle.
Mettre les termes mettrait bien un terme à ce qu'ils entretiennent. Au même titre que l'héro, c'est une addiction. On ne sait pas où ça va les conduire.
Son cour bat plus fort quand l'autre le présente comme son copain. Il est timbré.
A-t-il vu comment les autres les regarder ? A-t-il vu la désapprobation de Cassian ?
Franchement, s'il avait compris que l'encre qu'Est déposait aussi aventureusement sur son poignet était destiné à tracer le cœur qu'il lui manque, il n'aurait même pas su refuser et la réaction aurait été similaire. Malheureusement souriant, toujours pour faire plaisir.
Cassian se fiche bien de son corps. Toile vierge qu'on pourrait écraser d'une vieille trace de pneu, tant que ça plaît. Alors, il n'a rien dit sur ce tatouage à la con. C'est qu'il en a bien un, de cœur si vide, pour si peu de réaction. Esteban béat, sourit d'amour.
Or, parce qu'il habite chez Esteban, ça ne justifie pas qu'ils doivent se considérer ainsi.
Il n'aurait pas dû lui rouler la première pelle.
De toute façon, c'est l'héroïne qui l'a fait à sa place.
C'est la faute au désespoir, de l'avoir conduit à frapper à sa porte.
Autrement, Cassian reste profondément seul. Il ne peut se séparer de son amant.
Ce n'est pas juste son instinct de survie qui parle. Après tout, Cassian aurait pu se démerder. Il enchaîne déjà les petits boulots pour payer le loyer, les factures. Il va même au-delà si nécessaire, pour se taper de l'héro. Il se tape des mecs inconnus. Autant eux que lui, dans le besoin. Ça rapporte plutôt bien. Il aurait pu finir SDF. Même si c'est un coup sur l'honneur, il s'en tape parce que dans le fond, il n'a pas d'instinct de survie. Il ne regrette rien, même s'il se faisait embarquer par les flics après avoir cambriolé les petites pharmacies de la porte de Montreuil. Mais ça n'est même pas arrivé.
Quitter cette colocation improvisée serait son seul regret parce qu'Esteban, c'est le seul vrai pote qu'il a eu pendant plus de vingt ans.
Alors, plus que jamais, il fait gaffe.
C'est qu'il a tant le sens du détail qu'il fait attention à ne pas marquer trop d'affection, Cassian.
Plus distant, plus incisif, plus dur. Mais ce n'est pas trop dur à contrôler. Ça fait éclater les crises qu'il jauge nécessaires à leur duo pour pouvoir perdurer. Cassian reste puisque ce n'est pas ennuyant. Il y a un jeu à entretenir, dans la relation, pour n'être ni trop près, ni trop loin. Et quand l'autre se met à hurler dans l'appart, que les voisins tapent encore contre leur plafond avec leur balai parce que quand c'est pas la baise, c'est les engueulades, Cassian ne peut retenir sa commissure marquée par une subtile inclinaison.
Sa vie n'est pas morne.
Il y a du rythme.
Ses poings dansent sur un rythme punk lorsqu'ils fracassent à mains nues des gueules ou des vitrines pour, au choix, piquer l'argent dans le porte-feuille d'un touriste sur la ligne une ou tous les médicaments qui feraient substituts à l'héroïne. Mais ce qu'il récolte toujours, qu'importe l'infraction, c'est du sang. Sur les mains blanches et frêles ou sur sa gueule de petit ange des Hauts-de-Seine, Cassian se ramasse toujours. Parce qu'il aime toujours autant se relever. C'est limite s'il ne tombe pas de lui-même pour mieux apprécier, chutant parfois aux genoux d'autres hommes avant de se faire gicler dessus par une pluie de billets. Ça l'amuse plutôt bien, la jalousie d'Est à ce sujet.
Il n'en a jamais été très loin et bordel, ce que l'argent lui manque.
D'amour pour l'argent mais pas pour les autres. Pas plus pour Esteban. Encore moins pour lui.
Il est cool, Esteban. Il n'est pas jaloux, il est juste inquiet.
Cassian se comporte comme une ordure et lui en fait vivre des pas mal. Tristement amoureux d'un déchet pareil. Même la drogue n'est pas assez pour en finir de lui alors qu'Esteban n'attend que son propre trépas pour ne pas voir celui du môme avant. Il n'arrive plus à supporter de voir sa peau nue, naguère si douce, maintenant de chagrin, tatouée par les frissons du risque. Il n'apprécie pas de le voir se contracter sous les spasmes plutôt que de fantasme. Il n'en peut plus de son manque de vigueur digne d'un état grippal. Il ne peut plus voir sa gueule d'ange éreintée par la recherche d'addiction — d'héro ou de futurs euros, c'est pareil. Sa figure si apathique alors que lui, ne peut s'empêcher de le regarder, non plus avec amour mais trop de pitié.
Sur le perron, en juillet 1981, ce n'est pas ce sentiment-là qu'il ressentait. C'était naturel.
Deux ans plus tard, Esteban s'efforce de retenir des larmes lorsqu'il lui tend du liquide, de quoi se payer une semaine dans l'hôtel qu'il lui indique, à deux pas.
Il n'a plus de thune,
il n'a plus non plus de patience
de voir Cassian s'auto-détruire sous ses yeux, qui finissent quand même par couler le chagrin.
Cassian lui a fait trop de mal et pourtant, il regrette de lui en faire d'autant en le congédiant de chez eux. Sans aucun doute lui en fait-il davantage, lorsqu'il se décide à raturer un des souvenirs laissés. Le dernier courrier de ses parents est encore emballé dans l'enveloppe, avec l'adresse des destinataires au dos. Après prière et excuses interminables, il informe à l'écrit la position que Cassian ait censé prendre et conjure à ses parents de prendre soin de lui. C'est un bon garçon. Or, Esteban n'aurait pas supporter une nuit supplémentaire.
Ce n'est qu'un retour de karma. Même en s'égosillant à plein poumons sur les Grands Boulevards comme un dératé, il n'arrive pas à lui en vouloir parce que c'est compréhensible. C'était même couru d'avance. Il a mal calculé. Encore une fois, il n'est pas bon en maths.
Il a déjà niqué toute l'oseille qu'Esteban lui a donné comme excuse. Bien sûr en héroïne parce qu'il n'a plus que ça.
Son héroïne en laquelle il croit pour le secourir de la solitude.
Sa religion en laquelle il jette au moins quatre cents vingt offrandes par jour.
Si forte est sa foi qu'il la pense capable d'encore le faire vibrer alors que même la plus propre des seringues trouvée dans la rue ne lui procure que deux minutes d'euphorie pour une vie de perdition. Dans les rues de capitale, l'ancien riche déambule comme un clochard. Dans le métro, il fait si pathétiquement la manche. Mais c'est le seul endroit où il est sûr de pas croiser sa famille, au moins. Les autres camés l'ont informé qu'Est a pété les plombs, qu'il les en a informés. L'hôtel, heureusement qu'il n'y a pas été. Il ne sait pas s'il doit le comprendre ou lui en vouloir. D'après ses informateurs, il devrait le haïr pour ça. C'est pire que le dénoncer aux flics. C'est ce qu'il pense ressentir, s'ils pensent ainsi. Mais au-delà de la haine ou de la compassion, Cassian se sent puissamment trahi.
Ils auraient dû brûler les lettres.
Il aurait dû brûler l'appart d'Esteban.
Mais au lieu de ça, Cassian ne fait que brûler une taffe de son spliff.
Brûlant la nuit et ses interdits, il escalade le grillage du parc sans se faire attraper. Plusieurs confrères défoncés à l'alcool dans l'herbe. Ils auraient pu lui chercher des noises mais on ne fait même pas attention à lui, mec trop hagard qui bute pourtant dans la poubelle public. Il a envie de se jeter. Il se sent profondément seul. Il se sent cruellement abandonné. Mais ce n'est pas injuste, il l'a cherché. Il ne peut que s'en vouloir de souffrir autant. Son cœur l'attaque, lui somme d'arrêter. Il renifle pourtant encore, jusqu'à saturation, la poudre qu'il a dans les mains. Il renifle ses trop nombreuses larmes qu'il n'arrive pas à contrôler. Pourquoi est-ce qu'il pleure ? Le chemin jusqu'en haut est long mais c'est bientôt fini. Il va bientôt en finir. Il ressent de la souffrance, la découvre. Il ne la comprend pas mais ne veut pas l'entendre. Il veut taire tout ça.
Sa souffrance est invisible. Personne ne veut l'entendre et lui non plus. Ce n'est pas joli. Alors que son suicide depuis l'île du Belvédère, découvert par une jeune âme innocente le lendemain, ça se ferait entendre ! Il n'est pas célèbre mais mérite bien de choisir sa mort pour qu'on la salue.
Il voit grand, trop grand. Ce n'est pas possible. Au bord du précipice, ses mains tremblent, contaminent ses jambes. Cassian recule soudainement, ses pupilles agrandies davantage par la peur que par l'héroïne. Son cœur, pour la première fois, réagit aussi intensément pour battre la chamade. Est-ce si séduisant, la mort ?
C'était marrant au début parce qu'il y avait un soupçon de danger. Là, maintenant, ça lui fout les jetons. C'était pas sérieux. Il a bien conscience qu'il n'en sortirait pas, lorsqu'elle le pousse d'un coup aussi violemment.
La religion trouve son prophète.
En lui, elle se matérialise.
Elle prend violemment possession de lui, déçue de ne pas l'avoir vu accomplir l'exceptionnel. La solitude l'a rendu si lâche, si ennuyant. À sa place, l'héroïne commet l'irréparable.
Dans cette bascule entre la vie et la mort, son corps se foudroie sur place. Brusquement, il se voit déjà enterré, ses jambes s'affaissant contre le sol. On l'enterre vivant. Ni l'héroïne, ni la mort ne sont patientes.
Il s'est trop alimenté en drogue, l'oxygène ne peut plus l'atteindre à cette hauteur. Le camé se tient la gorge pour ne pas se voir étranglé par ce qu'il a consommé. Comme une tentative d'étrangler plus fort le blocage qui se joue en lui. Le rhume de ses larmes complété à la poudre blanche forment un mélange visqueux et collant qui encombre ses narines. En vain, il tente de récupérer une dernière respiration par la bouche mais son souffle lui échappe et avant qu'il n'inspire, s'expire. Personne ne s'exprime. Il n'y a personne pour lui venir en aide, même pas son corps ankylosé. Ses organes l'abandonnent, un par un, finissent par devenir plus durs que son cœur. Ce dernier est, aujourd'hui, le seul à être en marche, rattrapant les vingt-deux ans perdus pour autant s'agiter. C'est comme un crash d'avion se prenant la gravité.
Si rapidement qu'on en perd le compte, que ça en est épuisant d'autant ressentir.
Des sueurs le parcourent tout le long.
C'est dangereux,
c'est terrifiant.
Il voudrait hurler pour qu'on lui vienne en aide mais ne fait que pousser des larmes de solitude et de culpabilité.
Pardon.
Pour lui-même, il a autant de haine. Il ne peut pas haïr Esteban puisqu'il se hait déjà tant que ça.
Il n'a pas d'amour propre :
il s'est vendu pour quelques cachets,
à niquer son avenir pour de l'incertain.
Il est irrécupérable donc c'est peut-être mieux qu'il s'auto-condamne ainsi, aussi misérablement.
Sans mot, sans excuse. La seule chose qu'il réussi à prononcer, c'est comme d'habitude, de la merde. Une tentative expiatoire qui se conclut par un dégueulis de mensonges. Personne ne souhaite de nouveau l'entendre, son hypocrisie. Qu'il la garde pour lui, bien coincée au fond de sa gorge, pour voir à quel point ça fait mal, à quel point c'est infect.
C'est si cru, si acide que son sang, en contact, se désintègre automatiquement. Et il n'éructe pas ses vomissements. Il en est incapable parce qu'il en a bien trop honte. Mort glorieuse, qu'il voulait alors qu'il essaye de rester digne dans ce trépas minable jusqu'au bout, en gardant le dégoût jusqu'à la fin (des temps).
Il se hait, Cassian, d'être cet amant du danger. Il l'aime tant mais n'en peut plus. Il comprend ce qu'à pu ressentir Est.
C'est si excitant
c'est si douloureux
qu'on ne peut le supporter,
qu'on ne peut plus le voir.
Tout bonnement incapable de se lancer un regard parce qu'il essaye de chuchoter ses larmes, pourtant si bruyantes.
Il a honte de ce qu'il est devenu. Un zombie. Il ne calcule toujours pas ce qu'il fait alors qu'il aurait dû être simplement plus prudent. Mais ce n'est pas dans sa vocabulaire car la vigilance l'a toujours mené à l'ennui.
Il ne connaissait pas les risques et c'est ça qui était grisant,
avant de les voir, là, en peinture.
Plus que ne pas croire en les balivernes d'un charlatan, pourquoi a-t-il même cru en lui ?
Pourquoi a-t-il une seule seconde pensé qu'il mériterait de revenir à la vie plus qu'un autre ?
Cassian ne mérite plus de connaître les dangers de l'existence mortelle. En tant qu'immortel, le couteau qui raye d'un coup sec la la joue décharnée de peau le fait souffrir, comme ce jour-là mais rien de plus. Il perd du sang mais ne sent pas le reste s'éteindre. Il y laisse une cicatrice, visible même dans la chair pourrie par l'acide gastrique. Une cicatrice qui témoignera de son imbécilité.
Il n'y a plus d'enjeu. Rien ne sert de remuer le couteau dans la plaie, ou dans le cœur comme il l'avait voulu. À cette apparence, il doit finir par s'accoutumer.
L'accoutumance n'a rien de plaisant. La dépendance lui parle davantage.
Face à cette odeur aussi piquante qu'écœurante, Cassian finit par lâcher et remplacer son héroïne devenue la pire des traîtresses et tombe dans l'achat compulsif et la consommation abusive de potions. Alcoolique à en boire du matin au soir, lui qui n'aime pas la routine se retrouve à répéter le même schéma que dans son ancienne vie. Ses vieux démons le rattrapent, tel des cauchemars.
Tel un cauchemar, sa réelle condition le prend en migraine bien trop souvent. La haute consommation est probablement génératrice de toutes ces visions qui la traversent. Il est dans le déni. Quand il ne perçoit pas quelque chose, d'office, il ne cherche pas à pousser la réflexion plus loin. Elles sont difformes, n'ont pas de sens. Elles semblent rejouer des morts alors qu'il n'en a connu qu'une seule. C'est si imprécis comme pourtant, si parfait à la fois.
La morsure dans la nuque,
l'incendie explosif qui lui ravage le visage,
les balles des flics et le sang qui lui perforent respectivement le thorax et les narines,
la dernière petite lueur, fiévreuse, dans ses petits yeux alors qu'il traverse ce long couloir d'hôpital.
Et comment ne pas oublier ces récidives d'overdose qui lui reviennent comme des relents ?
À l'instar de cauchemars, ce sont des expériences qu'il préfère oublier alors qu'elles lui viennent brutalement. Chaque fois des instants de mort où le risque a fini par s'éteindre. Et ils sont instantanément jetés dans l'oubli puisque le zombie ne révélerait pour rien au monde les conditions déplorables dans lesquelles il s'est aventuré.
Dans ce paradoxe de la popularité et de l'oubli,
il continue dans sa quête de la reconnaissance
tout en ne se (re)connaissant plus lui-même.
Se blottissant dans la cape que lui octroient les potions d'apparence et olfactives, il souhaite disparaître
finir en poussière si c'est ainsi.
Son ventre crie la famine pour en appeler à sa disparition mais comme cette fois-là, au bord du précipice, Cassian devient souvent lâche. Sa grève de la faim s'interrompt pour quelques heures et métamorphose en crises boulimiques,
honteux du corps qu'il égare.
Il s'égare, sans réel but, Cassian ne trouve pas l'amusement promis dans le monde des morts.
Seul la rancœur et la jalousie sont des moteurs pour poursuivre dans ses qualités de séducteur hypocrite. Il n'apprend rien et reste toujours ce même type superficiel qui vend des mensonges aux autres :
Il arnaque à coups de potions de zombification les lémures plus crédules que lui.
Il gonfle les prix des potions pour foutre en l'air le marché des nécromancien.ne.s à coups de concurrence.
Il tague les murs de la police revenante parce qu'elle n'est pas crédible.
Il se fait des potes partout mais les plante quand ce n'est plus intéressant.
On le traiterait de machiavélique mais Cassian n'a absolument aucune conscience de ce qui est bien ou mal. Il se sait au moins chaotique, mais c'est drôle.
Avec ironie, on lui a dit de s'amuser alors qu'il n'y a plus de risque à être mort.
Alors, Cassian met du piment dans la mort bien trop reposante des spectres,
entretenant malheureusement davantage
sa jalousie.
CHRONOLOGIE :
(24.5.1961) Naissance à Detroit, Michigan.
(1967 - 73) Suite au déclin de la ville, la famille déménage en périphérie plusieurs fois. Cassian change quasiment toutes les années d'école privée, ne trouvant pas d'ami.e.s, d'ailleurs.
(1973) Force est de constater que l'économie ne se relance pas, son père travaillant chez Ford est muté sous demande à Rueil-Malmaison, en France. Sa mère trouve rapidement du travail puisque française d'origine et travaille à la Défense. La famille emménage à Saint-Cloud.
(1975) Après avoir essuyé plusieurs échecs d'entrée pour de mauvaises notes, Cassian rejoint une école internationale privée où il doit taire son homosexualité sous les brimades. Il y commence son apprentissage du français.
(1977) Il est renvoyé deux ans plus tard et termine sa scolarité dans une école bilingue publique, sous la désapprobation de ses parents. Il sèche souvent les cours et commence à fumer doucement la cigarette.
(9/1979) Accepté au Cours Florent, il a du mal à convaincre ses parents qui souhaitent le pousser à être ingénieur mais réussit en étant bien plus convaincant lors de ses deux dernières années et son stage d'entrée où il souhaite changer de vie. Il emménage, malheureusement, chez ses grands-parents maternels.
(12/1979) Ses parents acceptent de lui donner plus de responsabilité au vu de ses bonnes notes. Iels lui louent un appartement dans le quartier Jaurès, à Paris.
(1980) Ses notes chutent de manière considérable. Elles sont déplorables. Il se lasse. Il n'informe pas directement ses parents mais finissent par être mis au parfum par l'école. Iels le menacent de le faire changer de cursus.
(8.1980) Descente de police non loin de chez lui alors qu'il venait se fournir chez un dealer. Une fois la fuite réussie, il y fait la rencontre d'Esteban, un immigré d'Amérique Latine. Il finit par lier une amitié avec lui lorsqu'il lui présente un bon plan deal.
(11.1980) Après plusieurs cours séchés, il est renvoyé. Il tombe lentement dans la consommation d'héroïne.
(4.1981) Plus aucune nouvelle pour ses parents, iels lui coupent les vivres pour le faire réagir.
(7.1981) Il toque à Belleville, chez Esteban et lui déboule tout l'argent qu'il lui reste pour un logement, le temps d'un ou deux mois pour survivre dans Paris. Mais sa consommation augmente considérablement. Deux héroïnomanes dans le même appart. Au moins, ils commencent à apprendre leurs langues respectives pour mieux communiquer...
(1982 - 1983) D'une relation amicale, elle devient sexuelle. Sans argent ou des petits boulots à la con, les deux hommes sont en manque. Cassian manque de compassion et de mots, Esteban d'amour qu'il essaye de formuler. Ils sont en manque de drogue. Ils volent de la morphine en pharmacie. Ils volent tout court pour se faire de l'argent. Cassian en vient même à se prostituer.
(11.1983) De nombreuses crises éclatent. Blessé par l'attitude générale de Cassian et ne pouvant plus réellement l'aider comme il le prévoyait, son colocataire le met à la porte.
(12.1983) Il n'ira jamais chez ses grands-parents et encore moins ses parents. Il finit SDF.
(28.12.1983) Il tente de se suicider du haut du belvédère mais succombe avant d'une overdose au parc des Buttes-Chaumont.